A l’heure où la toile africaine est embrasée par un incendie d’obscurité de buzz nommé Baltasar, une flaque de lumière littéraire apporte un contre-poids important. Il s’agit du Prix Goncourt. C’est Kamel Daoud qui remporte cette prestigieuse distinction littéraire française pour son roman, Houris.
Ce roman puissant, dont l’intrigue s’étend sur une décennie, se penche sur la guerre, la souffrance et la mutilation d’une Algérie en quête de repères, de paix et d’identité. Cette récompense vient saluer un auteur qui, depuis des années, s’attache à être « la voix des malheurs qui n’ont point de voix », pour reprendre les mots d’Aimé Césaire.
PRIX GONCOURT 2024 : UNE ŒUVRE AUDACIEUSE PRIMÉE
Kamel
Daoud, journaliste au quotidien Le Quotidien d’Oran en Algérie, a été un
observateur de première ligne de la violence qui a déchiré son pays dans les
années 1990, une période connue comme la décennie noire. Cette guerre
civile a laissé des marques profondes dans la mémoire collective algérienne et
inspire une grande partie de son travail. Dans Houris, Daoud réveille
ces souvenirs d'un passé douloureux, entrelacé avec les espoirs de renaissance,
offrant un tableau intime et poétique d'une Algérie blessée mais résiliente.
À
travers ses écrits, Kamel témoigne d’un engagement littéraire autant que
politique. Il éclaire à la lampe de son encrier les ténèbres de questions
presque taboues qui touchent à l’identité, au colonialisme et à la religion
avec une profondeur qui dépasse les fonds de la simple fiction. Il apparait
clairement sous la plume de l’auteur que la
littérature n’est ni un refuge ni un chant de plaisir mais un champ de
bataille. Pour cela, il refuse la complaisance et place les mots au centre de
sa lutte, explorant les fractures et les blessures de l’Algérie contemporaine,
mais aussi les aspirations de ceux qui y vivent.
Avec
Houris, le romancier devient poète et philosophe en dépassant le cadre
de la simple chronique historique. Le titre fait référence aux houris, ces
créatures du paradis dans la tradition islamique, qui symbolisent ici le désir
inassouvi de paix et d’idéal, confronté à la violence terrestre et aux luttes internes
de l’Algérie. Le roman interroge la place de la religion, la quête de la
rédemption et la possibilité même de la réconciliation dans une société marquée
par le sang et la douleur.
Pour
rappel, Kamel Daoud a été vraiment
révélé au grand public par son œuvre Meursault Contre-enquête, qui lui
vaut le Goncourt du premier roman 2015. Un roman reprend le personnage de L’Étranger
d’Albert Camus pour le revisiter du point de vue arabe, explorant ainsi la
condition de l’« autre » dans le colonialisme. Cette œuvre audacieuse est une
réponse à l’anonymat de « l’Arabe » tué par Meursault, le héros de Camus, un
personnage sans nom, qui représente toute une frange d’individus réduits à des
silences dans la littérature française. Daoud, avec un sens critique et une
écriture affûtée, met en lumière les non-dits du texte camusien et questionne
les hiérarchies de valeurs implicites qui hantent la mémoire coloniale.
Son
audace et son engagement lui valent aujourd’hui le prestigieux Prix Goncourt.
Abdal’Art