Le chrétien s’habille-t-il de façon différente des autres hommes ? À première vue, il semble que non. Dans l’Évangile, le Christ n’a pas donné de code vestimentaire particulier à ses disciples. Et c’est bien ainsi que l’Église l’a compris dès les premiers siècles.
Y A-T-IL UN CODE VESTIMENTAIRE POUR LE CHRÉTIEN ?
Comme
l’affirme l’épître à Diognète (écrit chrétien du IIe siècle) : « Les chrétiens
ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par
les vêtements (…). Ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la
nourriture et la manière de vivre. »
Le mystère
que les chrétiens sont appelés à vivre est d’abord caché. « Invisible, l’âme
est retenue prisonnière dans un corps visible : ainsi les chrétiens, on voit
bien qu’ils sont dans le monde, mais le culte qu’ils rendent à Dieu demeure
invisible ». Et cette épître à l’audace d’ajouter : « En un mot, ce que l’âme
est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde ».
Le chrétien
ne se distingue pas des autres hommes par le vêtement. Cependant, la manière
dont le chrétien s’habille a bien une signification spéciale. Le corps du
chrétien est destiné à la gloire et dès maintenant il est habité par l’Esprit
de Dieu : « Ne savez-vous pas que votre corps est un temple du Saint-Esprit, qui
est en vous et que vous tenez de Dieu ? Glorifiez donc Dieu dans votre corps. »
(1 Co 6, 19-20)
UNE TENUE QUI VARIE SELON LES CULTURES
Ce rapport
mystérieux que le chrétien entretient avec son propre corps et avec son
vêtement est plus profond encore que celui que réclame la pudeur et ce
qu’exigent les « bonnes mœurs ».
La Bible
rappelle certes à plusieurs endroits la manière décente avec laquelle le
chrétien doit s’habiller, mais le vêtement a pour le chrétien une signification
plus profonde encore. Saint Paul invite par exemple les femmes chrétiennes à la
décence : « Que les femmes aient une tenue décente ; que leur parure, modeste
et réservée, ne soit pas faite de cheveux tressés, d’or, de pierreries, de
somptueuses toilettes. » (1 Tm 2, 9) Cependant, l’Eglise n’a pas vu dans cette
recommandation de Paul une interdiction de se tresser les cheveux ou de porter
des bijoux, mais l’invitation à une certaine retenue, qui varie d’ailleurs
selon les époques et les circonstances.
Par exemple,
Saint Augustin écrit à Possidius : « Je ne veux pas que tu prennes une décision
précipitée en interdisant les parures d’or et les vêtements précieux ».
Augustin ajoute même qu’il y a là quelque chose de normal et de bon : « Les
maris cherchent à plaire à leurs épouses, et les épouses à leurs maris ».
Dans un
autre passage, Saint Paul demande aux femmes de l’Église de Corinthe de porter
un voile (cf. 1 Co 11, 6) et en cela il a été suivi par Saint Augustin : « Il
ne convient pas aux femmes, même mariées, de laisser voir leurs cheveux, car
l’Apôtre leur ordonne de se voiler la tête ». Mais là encore, l’Église n’en a
jamais fait une règle contraignante pour tous les lieux et tous les temps.
Le chrétien
doit se conformer aux usages de chaque culture dans la mesure où celle-ci
respecte une certaine décence.
LE CORPS, LA NUDITÉ ET LE VÊTEMENT
Si nous
voulons découvrir le regard que la foi chrétienne nous invite à porter sur le
corps et le vêtement, il faut aller plus loin que cette question de la décence
qui s’exprime différemment dans telle ou telle culture. Il nous faut remonter
jusqu’à la Genèse qui nous parle de l’origine même du corps humain dans son
rapport à Dieu et aux autres. De fait, dès les premières pages, la Genèse nous
donne un regard de sagesse divine sur le corps, la nudité et le vêtement qui
est d’une certaine manière au-delà des cultures.
La Bible
enseigne qu’à l’origine : « tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils
n’avaient pas honte l’un devant l’autre » (Gn 2, 25). Cette remarque sur la
nudité a une portée symbolique qui dépasse le vêtement. L’homme et la femme
sont nus l’un en face de l’autre, c’est-à-dire qu’ils sont dans un rapport de transparence,
sans avoir à se cacher. Ils n’ont pas peur de leur faiblesse et de leur nudité.
Par contre, lorsqu’ils se détournent de la limpidité du regard de Dieu, leur
nudité leur apparaît comme une fragilité insupportable : « Leurs yeux à tous
deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus ; ils se cousirent des
feuilles de figuier et se firent des pagnes » (Gn 3, 7). Voilà ce que révèle la
Genèse. Dès l’origine, la confiance entre Dieu et l’homme a été brisé, et cette
brisure s’est répercutée jusque dans son corps. L’homme doit accepter de ne
plus pouvoir être dans une confiance et une transparence absolue vis-à-vis des
autres. Dieu lui-même invite l’homme à accepter cette condition : « Dieu fit à
l’homme et à la femme des tuniques de peau et les en vêtit. » (Gn 3, 21)
LE MANTEAU DE NOÉ ET L’IDÉOLOGIE DE LA TRANSPARENCE
Ce regard
révélé dépasse la question du vêtement, ou plutôt elle inscrit la signification
du vêtement dans le drame que l’homme porte en lui jusque dans son corps et qui
consiste à devoir couvrir sa nudité, c’est-à-dire sa fragilité. Voilà la signification
la plus fondamentale du vêtement pour le chrétien.
Le vêtement
qu’il porte lui rappelle qu’il est fils d’Adam dont la fragilité réclame d’être
protégée et cachée.
Le monde
d’aujourd’hui voudrait une transparence absolue, mais cette transparence
est-elle bonne ? À ce titre, un autre épisode de la Genèse est instructif.
Lorsque Noé sort de l’arche après le déluge, il se dénude sous sa tente en se
laissant prendre par l’effet du vin. Et tandis que l’un de ses fils voit sa
nudité, les deux autres « prirent le manteau, le mirent tous deux sur leur
épaule et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père ; leurs visages
étaient tournés en arrière et ils ne virent pas la nudité de leur père » (Gn 9,
23).
Le manteau
de Noé nous enseigne que le vêtement fait partie de la dignité humaine et que
nous n’avons pas le droit d’y porter atteinte. L’expression que nous employons
pour signifier que l’on a mis une personne sur la place publique est
significative : « Il a été mis à nu ».
Nous n’avons
pas à déballer l’histoire de quelqu’un sans raison, cette exigence est en
quelque sorte inscrite dans notre corps qui réclame son vêtement.
LE VÊTEMENT TRANSFIGURÉ ET LA NUDITÉ DU CHRIST
La Bible ne
s’arrête pas là. Elle nous enseigne que par la manière même dont le Christ a
porté son vêtement, il est venu nous sauver de notre faiblesse et de notre
nudité. Dès sa naissance, le Christ a voulu être « enveloppé de langes » comme
nous (cf. Lc 2, 12). Mais surtout le Christ nous a révélé au travers même de
son vêtement qu’il allait transfigurer notre faiblesse en gloire.
Lors de sa
Transfiguration en effet « ses vêtements devinrent resplendissants, d’une telle
blancheur qu’aucun foulon sur terre ne peut blanchir de la sorte » (Mc 9, 3).
Pour le
chrétien, le vêtement comporte donc ces deux significations extrêmes. Le
vêtement lui rappelle à la fois qu’il est fils d’Adam marqué par la faiblesse
et la nudité, et, en même temps il lui rappelle que son corps va être
transfiguré et revêtu d’une gloire nouvelle dans le Christ. La Transfiguration
du Christ qui a touché jusqu’à son vêtement n’a duré que l’espace d’un instant.
Peu après le Christ a accepté l’humiliation suprême d’avoir été dépouillé de
ses vêtements avant de parvenir à la gloire de la Résurrection (cf. Jn 19, 23).
Le Christ dans son vêtement même nous annonce la gloire, mais une gloire qui, pour
l’instant est cachée, et que le Christ veut faire jaillir de notre nudité, de
nos humiliations et de notre faiblesse.
LE VÊTEMENT DU CHRÉTIEN AU RYTHME DE LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION
Si le
chrétien n’a pas de code vestimentaire particulier, sa manière de s’habiller
est cependant marquée par le rapport que le Christ a connu à l’égard de son
propre vêtement dans sa passion et sa Résurrection. L’Église invite le chrétien
à vivre à l’unisson de ce mystère suivant les temps liturgiques de l’année.
Tantôt le chrétien doit prendre le vêtement de la pénitence lorsqu’il se
rappelle la marche du Christ vers sa Passion, tantôt il doit prendre un habit
resplendissant lorsqu’il fête la Résurrection.
Nous avons
d’ailleurs gardé cette expression dans le langage courant. Nous disons qu’une
personne est « endimanchée » pour dire qu’elle ne s’est pas habillée comme à l’ordinaire
jusqu’à en être maladroite. Cette expression est devenue péjorative, mais elle
dit encore quelque chose de vrai. Le vêtement que nous portons le dimanche,
jour de la Résurrection, annonce un mystère qui nous dépasse : notre corps est
destiné à la gloire.
Frère
Thibault