Selon l’OMS, la Côte d’Ivoire enregistre l’un des taux de suicide les plus élevés en Afrique. Ce mal insidieux gangrène la jeunesse ivoirienne, en particulier en milieu scolaire et universitaire. Comment faire face à ce fléau et résister à la tentation du malin ? Dossier.
Le 14 janvier 2023, Diabagaté Ibrahim, étudiant en
master, est retrouvé pendu au sein de l’Université Félix Houphouët-Boigny. Son
nom vient s’ajouter à la longue liste des morts par suicide en Côte d’Ivoire.
En effet, notre pays enregistre le 3e taux de suicide le plus élevé en Afrique
avec 23 cas par an, selon une étude de l’Unité de Médecine Légale du service
d’Anatomopathologie du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Treichville. «
J’ai failli en venir au suicide. J’avais été accusée à tort d’un vol d’argent
par mes copines qui se moquaient et m’humiliaient aussi bien en salle de classe
que dans la cour du lycée. Cette histoire a perturbé ma relation avec mon petit
ami de l’époque qui a fini par me quitter. Pire : certains membres de ma
famille n’ont jamais cru ma version des faits. Sans ma sœur, je me serais donné
la mort comme bien d’autres, » explique Séphora Amani, aujourd’hui stagiaire en
entreprise. Pour le Docteur Aka, psychologue et présidente de Action Psy Côte
d’Ivoire, les chagrins d’amour et la solitude sont les principales causes de
suicide des jeunes en Côte d’Ivoire. Pour les suicides en milieu scolaire,
d’autres experts invitent à créer des cellules d’écoute gérées par les
étudiants et les enseignants au sein des établissements.
Le Docteur Aka recommande aux jeunes en proie aux
pensées suicidaires de s’éloigner des éléments déclencheurs. « Parfois,
certains endroits, certaines personnes ou certaines habitudes risquent de
déclencher le désespoir et l’envie de se suicider. Au début, il peut être
difficile de les identifier, mais vous devez essayer de repérer les indices qui
révèlent l’apparition de déclencheurs potentiels. Autant que possible, efforcez-vous
d’éviter les personnes et les situations qui provoquent votre tristesse
».Plusieurs spécialistes insistent sur l’importance de ne pas demeurer dans
l’isolement. « Appelez un ami ou une personne que vous aimez. Rester seul
lorsqu’on développe de telles pulsions est un grand danger. Parfois, il suffit
de parler de son mal pour trouver la force de résister et de vaincre une
obsession nuisible. La communication est une excellente thérapie de dissipation
de ces envies, » explique le sociologue Sadia Jean. « En Côte d’Ivoire, nous
n’allons pas voir un médecin pour ce genre de ‘’choses’’. Nous avons tendance à
croire que ces problèmes ne sont que l’affaire des Européens. Or nous sommes
tous concernés et il n’y a pas de honte à consulter un expert. » Autre moyen de
gestion de la pression, le sport. Ici les experts sont unanimes : la pratique
de l’exercice physique permet de guérir des symptômes de la dépression.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le
suicide est un véritable problème de santé publique. Avec un million de
victimes par an, il est la 15e cause de mortalité dans le monde. 11 personnes
pour 100.000 se suicident chaque année en Afrique, un chiffre supérieur à la
moyenne mondiale qui est de 9 suicides pour 100.000 personnes. En Côte d’Ivoire,
ce problème reste tabou malgré un taux parmi les plus élevés au monde. Le pays
se situe au 30e rang mondial et au troisième rang africain (23), derrière le
Lesotho (28) et la Guinée Equatoriale (25). L’Ouganda (20), le Cameroun, le
Zimbabwé (19) et le Nigéria (17), complètent la liste des sept pays africains
les plus touchés par ce phénomène.
DES CHIFFRES
Une étude intitulée « Les morts violentes par
suicide survenues à Abidjan (Côte d’Ivoire) : étude médico-légale de 101 cas »
a été menée du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2020 et par Coulibaly Zié
Moussa, Ebouat Marc-Eric Victor, Konaté Zana, Djodjo Mathurin,
N’Guettia-Attoungbré Solange, et Pr Yapo Etté Hélène.Il a été enregistré durant
cette période d’étude, 24 000 décès, dont 101 cas de suicide confirmés, 1 500
cas de décès suspects, et 5 276 cas de morts violentes. Il ressort que la
majorité des personnes décédées était de sexe masculin (78,2%). La tranche
d’âge la plus concernée était celle de 20 à 29 ans (28,7 %). Ces décès
concernaient aussi bien les céli- bataires (54,5 %) que les personnes vivant en
couple (31,7 %). Les suicidés exerçaient une activité de type privé (58,4 %).
Les décès survenaient généralement dans un contexte de dépression (37,6 %) et
parfois sans facteur de risque (29,7 %).
LIBRE OPINION
Pr
KOUA ASSEMAN Médard
Directeur
coordonnateur du PNSM
La part des pouvoirs publics
Le caractère violent de l’acte suicidaire justifie
la nécessité de mesures préventives par les pouvoirs publics et les
professionnels de la santé mentale. Notre pays ne compte qu’une cinquantaine de
psychiatres pour 27 millions d’habitants, dont la majorité exercent dans la
capitale. Il va falloir faire passer ce ratio à échelle. Certes le Programme
National de Santé Mentale (PNSM) dénombre 57 structures de prise en charge des
troubles psychiatriques (30 publiques, 12 privées, 14 confessionnelles, une
communautaire, et une seule qui se situe en milieu rural). Mais il faut aller
plus loin. Les autorités gouvernementales doivent se saisir de ce douloureux
mal-être des populations qui peut les
pousser jusqu’à l’irrémédiable. La réduction du taux de
suicide passe par la promotion de programmes adaptés aux réalités des populations,
avec des spécialistes de la santé men- tale, pour une meilleure prise en charge
des personnes présentant des prédis- positions suicidaires.
DR
KADJO MADELEINE
Docteur
en psychiatrie et psychothérapie
Crise suicidaire : comment la prévenir ?
La crise suicidaire est un état de trouble psychique
aigu, caractérisé par la présence envahissante d’idées noires et une envie de
se donner la mort de plus en plus marquée. La personne est alors confrontée à
une grande souffrance et ne trouve pas en elle les ressources suffisantes pour
la surmonter. Elle se sent dans une impasse et la mort apparaît progressivement
comme le seul moyen de trouver une issue à cet état de crise. Les idées
suicidaires sont un signal d’alarme qui précède la tentative de suicide.
Celle-ci est définie comme un comportement non fatal dirigé contre soi-même
avec l’intention de mourir, même si ce comportement ne cause pas de blessure. Pour
prévenir le risque de passage à l’acte suicidaire et aider la personne à
surmonter la crise, il est essentiel de repérer les signes de détresse qu’elles
existent, ils se manifestent par des signes peu spécifiques et ne permettent
pas toujours de prévoir si la crise va évoluer vers une rémission spontanée ou
vers une tentative de suicide ou d’autres passages à l’acte.
MESURES DE PRÉVENTION
Au sein de la famille. Inciter les familles, et en
particulier les parents d’adolescents, à accorder de la valeur à leur ressenti
et à leurs inquiétudes. Demande de l’aide à l’extérieur de la famille et auprès
de professionnels. Informer les parents des facteurs de risque repérables. Informer
la famille des facteurs de protection, comme maintenir ou restaurer le lien
affectif du sujet en crise avec sa famille et avec les autres, malgré ses
tentatives de s’exclure du cercle familial ou de développement de programmes
visant à améliorer l’estime de soi et à s’exercer à la résolution de conflits. En
milieu universitaire. Les problèmes d’adaptation, l’isolement, les conduites
d’échec constituent les principaux soubassements des crises suicidaires, en
particulier pendant la première année de faculté. Il est recommandé de
favoriser l’accueil, les dispositifs de parrainage, la qualité de diffusion de
l’information. Les conditions de vie stressantes des étudiants fragilisent les
jeunes les plus vulnérables. Il convient de les accompagner dans ces moments peut
manifester. Prévenir le suicide n’est
pas aisé. Cela tient au fait que les premières manifestations de la crise
suicidaire sont difficiles à cerner. Ses aspects sont très variables, les
troubles sont parfois inapparents. Lorsqu’ils s’isoler. Développer ou renforcer
au sein de la famille la capacité de mettre en mots les tensions agies ou
ressenties. En milieu scolaire. Créer des réseaux d’écoute et d’accueil jeune
(numéros verts et accueils locaux). Favoriser le de turbulence. Pourquoi
attendre le dernier moment pour voir le psy, qu’il soit psychologue ou
psychiatre ? J’incite les uns et les autres à nouer des relations avec le psy
dès le début de ressenti douloureux.
Bamba Souleymane