La santé mentale est un enjeu majeur pour les jeunes en Côte d'Ivoire. Entre crises sociales et stigmatisation, nombreux sont ceux qui souffrent en silence. Cet entretien avec le professeur Koua Médard, directeur de la coordination du Programme national de la santé mentale (PNSM), met en lumière les défis et les initiatives visant à améliorer leur bien-être mental.
Qu’est-ce que la santé mentale ?
Professeur Koua : La santé mentale est une composante de la santé. De la même
manière qu’on parle de santé physique, la santé mentale est également la
deuxième composante de la santé. Elle est méconnue. La santé mentale ne
s’appuie pas sur des paramètres biologiques ou sur le physique. Elle est en
rapport avec le bien-être d’un individu. C’est sa capacité à pouvoir traverser
les difficultés de la vie, mais surtout à pouvoir maintenir un bon
fonctionnement social et contribuer au développement de la société.
Quels sont les principaux problèmes de santé mentale
rencontrés par les jeunes en Côte d’Ivoire ?
Nous avons des problèmes de santé mentale caractérisés par le
fait que le jeune soit conscient de son problème. C’est le cas pour la
dépression où le sujet est conscient qu’il ne se sent pas bien dans sa peau ou
dans sa tête. Soit il est découragé, soit il a des idées de suicide. Parfois,
c’est un jeune qui a du mal à vivre avec les autres jeunes. Beaucoup de jeunes
ont des problèmes de santé mentale associés à la consommation de la drogue.
Il y a un autre groupe où on parle de maladies chroniques.
Dans ce cas, les maladies débutent autour de l’âge de 15 à 16 ans. Elles vont
perturber toutes les capacités d’apprentissage et déformer la personnalité du
jeune. Puis il y a ce qui déclenche une maladie chronique. C’est le cas pour la
schizophrénie, une maladie mentale sévère. La maladie peut se poursuivre
jusqu’à l’âge adulte et perturber la capacité du jeune à pouvoir se prendre en
charge pour être autonome.
Existe-t-il des statistiques ou des études récentes sur la
santé mentale des jeunes ?
Nous disposons de deux types de données. Il y a les données
sanitaires en lien avec les problèmes de santé mentale des jeunes qui
consultent les structures et les établissements spécialisés en santé mentale. L’autre
type de donnée, ce sont les enquêtes qui ont été réalisées sur la population jeune.
Ce ne sont pas des enquêtes menées à l’hôpital.
Dans le premier groupe de données sanitaires, on constate que 40 à 45 % des personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale sont des jeunes. Ces problèmes surviennent à l’âge de l’adolescence, autour de 12-14 ans. Le deuxième type d’études réalisées est en rapport avec les conduites suicidaires, c’est-à-dire l’ensemble des problèmes liés au suicide. On s’est rendu compte qu’au cours de ces trois dernières années, il y a plus de cas de tentatives de suicide chez les jeunes, notamment autour de 45 %. On a moins de cas de décès par suicide, à savoir de 15 % à 18 %.
Quels facteurs causent la détérioration de la santé mentale
des jeunes ?
Au niveau des facteurs, nous parlons de facteurs de risque. Il
y a des problèmes où on identifie la cause, par exemple le paludisme, la
covid-19 ou la dengue. Quant aux maladies non transmissibles, comme le diabète,
l’hypertension, on ne parle pas de causes, mais de facteurs de risque. Il y a
trois éléments clés qui menacent la santé mentale des jeunes. Le premier
élément est en rapport avec le jeune lui-même (son mode de vie, de
fonctionnement). Un jeune qui consomme de la drogue peut fragiliser son état de
santé mentale.
Le deuxième élément est en rapport avec l’environnement immédiat (familial, scolaire, culturel…). Des événements de vie familiaux ou un climat familial tendu peuvent menacer la santé mentale du jeune. Le troisième facteur est l’environnement du pays. Les crises politiques, écologiques, sécuritaires, humanitaires, viennent perturber la santé mentale du jeune.
Quels sont les principaux programmes et initiatives mis en
place par le PNSM pour aider les jeunes ?
L’une des cibles du PNSM, c’est les adolescents et jeunes au
travers de l’initiative santé mentale ado jeunes, mise en place pour deux
raisons. La première raison est d’ordre scientifique. Plus de la moitié des
problèmes de santé mentale débute autour de l’âge de 15 ans. La seconde raison
est d’ordre démographique. 75 % de la population ivoirienne est jeune.
Ces jeunes ont baigné dans un environnement de crises
successives multiformes qui les ont fragilisés et qui ont même fragilisé
l’écosystème du pays, le milieu scolaire ou la famille.
Le Plan stratégique santé mentale a un axe prioritaire dédié
à la promotion, à la prévention et à la prise en charge des problèmes de santé
mentale chez les adolescents au travers du dispositif de l’initiative Santé
mentale ado jeunes. Ce dispositif a pour mission de susciter l’engagement des
organisations de jeunesse pour être des ambassadeurs auprès d’autres jeunes par
des mécanismes de sensibilisation et de communication adaptés. Le second
objectif est de susciter le déploiement et le recrutement de jeunes
psychologues qui vont être dès la licence 3 les premiers relais de soutien
psychologique.
Depuis 2024, il y a une vaste opération avec Emploi Jeunes dans
le cadre de l’initiative du PJ Gouv. Via ce programme, le ministère de la Santé
a pour mission de déployer des stages de qualification professionnelle pour les
jeunes psychologues dès la 3e année de la licence. Tout ceci
aboutira en 2025 au recrutement de psychologues de sorte qu’on puisse avoir des
services dédiés de prise en charge psychologique destinés aux jeunes et aux
adolescents en fonction des milieux spécifiques dans lesquels ils se trouvent.
En lien avec le programme national de santé universitaire et adolescents
jeunes, nous allons déployer toute une stratégie pour former les médecins généralistes,
les infirmiers, les travailleurs sociaux pour qu’ils puissent offrir les
premiers soins psychologiques ou psychiatriques aux étudiants et aux
enseignants.
Comment ces programmes sont-ils financés ?
Le défi du financement de la santé en Côte d’Ivoire est comparable
à celui du financement de la santé globale en Afrique de l’Ouest francophone. Le
PNSM un programme du gouvernement ivoirien. La direction de coordination qui
est rattachée au cabinet du ministre de la Santé, bénéficie d’un budget de
l’Etat pour essentiellement assurer les frais de fonctionnement. Le budget
tourne autour de cent millions de francs CFA. Il y a trois ans, le budget
n’atteignait pas cette somme. Au fur et à mesure, l’Etat est en train
d’injecter des fonds pour montrer la pertinence. En trois ans, le budget a été
triplé.
Il y a le plaidoyer pour l’accroissement des ressources de l’Etat pour pouvoir mener des programmes spécifiques dans les différentes régions sanitaires. Nous bénéficions de l’appui de partenaires du système de santé, notamment l’OMS et l’UNICEF.
Comment évaluez-vous l’accessibilité des services de santé mentale pour les jeunes en Côte d’Ivoire ?
Le constat est qu’il faut améliorer la couverture des services de santé mentale adaptés aux besoins des adolescents et des jeunes. L’analyse montre que le taux de couverture des services accessibles aux adolescents et aux jeunes est encore faible. Nous partons vers l’intégration des services de santé mentale dans les services de santé des adolescents et des jeunes dans les écoles, les universités et les institutions de formation. Ce processus qui est en cours sera déployé à partir de 2025.
Quels sont les obstacles auxquels les jeunes font face pour accéder à ces services ?
Le premier obstacle, c’est l’insuffisance de services adaptés. Ensuite, nous avons le défi de stigmatisation, car le problème de santé mentale est encore tabou. La troisième difficulté, c’est l’accessibilité financière. Tous les jeunes n’ont pas de problèmes psychiatriques, mais la plupart d’entre eux sont en situation de souffrance psychologique. Ils ont donc besoin d’une prise en charge psychologique.
Quels sont les principaux défis à relever pour améliorer la santé mentale des jeunes ?
Les
principaux défis sont le financement insuffisant, l'intégration de la santé
mentale dans toutes les activités concernant les jeunes, et la lutte contre la
stigmatisation qui entoure ces problèmes.
Réalisée
par Richard Konan