Avant d’être une fête folklorique, Noël est la fête de notre salut. Jésus signifie Dieu sauve : « Tu l’appelleras du nom de Jésus : car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » (Mt 1, 21) C’est pourquoi Noël est à la fois un immense moment de joie, mais aussi un temps de gravité et d’épreuve. Si nous avons besoin d’être sauvés, c’est parce que nous sommes perdus – ce que nous avons parfois du mal à reconnaître.
À Noël, nous
sommes invités à accueillir un salut qui vient au-devant de nous, qui vient
rencontrer les faiblesses et les infidélités de notre histoire :
« Voici que
je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd’hui
vous est né un sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David ».
(Lc 2, 11).
L’ « aujourd’hui
» du salut que nous célébrons à Noël renvoie à la seule initiative de Dieu. Le Christ
ne vient pas parce que nous serions prêts à l’accueillir : « Il est venu chez
les siens, et le siens ne l’ont pas reçu ». (Jn 1, 11) Il ne vient pas non plus
parce que nous le désirerions avec suffisamment de ferveur. À l’époque de
Jésus, les hommes étaient découragés : « Le peuple était assis dans les
ténèbres » (Mt 4, 16)
Si Dieu
vient habiter chez nous, c’est parce que lui-même l’a décidé, parce qu’en
définitive, il ne veut plus attendre que nous soyons prêts.
À Noël, nous
fêtons le salut de Dieu qui vient au-devant de ceux qui sont perdus. C’est
cette même hâte du salut que Jésus proclame tout au long de l’Évangile : « Il
me faut aujourd’hui habiter chez toi ». (Lc 19, 5)
NOËL, UN MOMENT DE LUTTE
Le Christ
sauveur qui vient au-devant de nous est « prince de la paix ». (Is 9, 5) C’est
ce que chantent les anges : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur
la terre aux hommes qu’il aime ». (Cf. Lc 2, 14) Et pourtant, la venue du
Christ augmente la lutte. Le massacre des saints innocents au lendemain de Noël
en est l’illustration.
Hérode n’a
pas supporté la présence de quelqu’un qui risquait de lui retirer ses
privilèges et de l’empêcher de régner comme il le voudrait. (cf. Mt 2) Or,
c’est bien là l’épreuve de l’accueil d’un sauveur. Il nous faut accepter de
devenir relatif à quelqu’un qui règne désormais sur notre vie. Laisser le
Christ devenir notre sauveur exige de lui remettre tout pouvoir afin qu’il ait
les mains libres pour agir.
Ceux qui
entourent Hérode peu avant le massacre des saints innocents sont les grands prêtres
et les scribes. (cf. Mt 2, 4) Eux aussi ne supporteront pas que quelqu’un
vienne prendre leur place. Ils ne supporteront pas que le Christ connaisse
mieux qu’eux l’Écriture et les mystères de Dieu, et qu’ils perdent ainsi leur
autorité spirituelle devant le peuple. Cette jalousie sera la cause propre de
la mise à mort de Jésus. (cf. Mt 27, 18)
Noël est un
moment de lutte car il nous faut accepter de nous laisser « détrôner » par le sauveur,
détrôner de notre autorité temporelle comme Hérode, c’est-à-dire de notre
capacité à orienter notre vie comme nous le voudrions, et détrôner de notre
autorité spirituelle comme les scribes – c’est-à-dire accepter que quelqu’un sache
mieux ce qui est bon pour nous, accepter que nous ne sommes pas infaillibles et
que nous pouvons nous tromper.
À Noël, Dieu
nous conduit dans la pauvreté. À chacun, il demande de prendre un chemin que
nous n’aurions pas prévu, un chemin sans doute moins glorieux ou moins brillant
que ce que nous voudrions, mais à travers lequel Dieu pourra venir librement et
totalement nous habiter. La fête de Noël nous met devant une épreuve et un
choix radical : voulons-nous suivre nos ambitions humaines ou acceptons-nous
que notre vie soit conduite dans la pauvreté par notre sauveur, afin que nous
devenions le lieu d’une présence de Dieu qui nous dépasse nous-mêmes ?
Souvent,
nous restons à la porte du mystère de Noël et de notre salut. Nous acceptons
éventuellement que Dieu passe, mais pas qu’il habite chez nous de façon totale
et définitive, pas qu’il oriente toute notre vie selon son bon vouloir pour que
nous soyons rendus disponibles à sa présence.
LA VIERGE MARIE, JOIE ET PAUVRETÉ
Noël est
bien un moment de joie et de paix céleste, mais également une joie et une paix
éprouvante qui impliquent une dépossession de nous-mêmes pour accueillir en nous
la présence même du sauveur. L’Évangile atteste que certains refuseront cette
joie du Christ parce que cette joie implique un appauvrissement trop grand : « Le
jeune homme s’en alla tout triste car il avait de grands biens ». (Mt 19, 22)
La Vierge
Marie est la première à être entrée en plénitude dans cet appauvrissement
joyeux. Marie a accepté d’être mère, c’est-à-dire d’être mobilisée par une présence
qui prenait toutes ses forces vives.
En disant « qu’il
me soit fait selon ta parole », (Lc 1, 38) Marie a accepté que son capital de
vie ne soit pas orienté comme elle l’aurait imaginé, mais selon l’ambition de
Dieu.
Cependant,
la maternité tout en étant vécue dans la pauvreté est source d’une immense joie.
Lorsque l’enfant naît, sa mère renaît avec lui. Pour Marie, cette nouvelle
naissance a été unique, car son enfant est Dieu, il est le Fils éternellement
en train de naître : « Tu es mon fils ; moi aujourd’hui je t’ai engendré ». (Lc
3, 22) Marie n’est pas Dieu ni un ange, mais une créature limitée, une femme
vulnérable et fragile. Et c’est dans cette fragilité même que Marie a fait
l’expérience d’être renouvelée de l’intérieur au contact de son enfant, d’entrer
dans une présence et une paix qui dépassaient tout.
Cette entrée
en présence du sauveur n’est pas réservée à Marie. Jésus qui est la parole du
Père vient se rendre présent en nous et s’empare de nos forces vives comme il
l’a fait pour Marie : « […] Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la
parole de Dieu et qui la gardent ». (Lc 8, 21)
Au cours de
la vie apostolique de Jésus, une femme s’était écriée : « Heureuses les
entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés !».
(Lc 11, 27)
Mais Jésus avait répondu : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu
et qui l’observent ». (Lc 11, 28) Autrement dit, la joie de la présence du
Christ sauveur nous est donnée avec la même profondeur qu’à Marie si nous nous
laissons déranger par la parole de Dieu, si nous acceptons qu’elle polarise nos
forces et qu’elle habite en nous.
À Noël, nous
ne devons pas seulement admirer pieusement Marie, nous devons comprendre que
nous sommes appelés à vivre du même mystère qu’elle. Dieu a décidé de venir en nous
aujourd’hui, malgré notre faiblesse. Si toute la liturgie de Noël est centrée
sur un enfant dans les bras de sa mère – « Ils virent l’enfant avec Marie sa
mère », (Mt 2, 11) – ce n’est pas pour que nous restions en retrait, mais pour
que nous recevions l’assurance que Dieu vient dans notre faiblesse.
Dieu
n’attend pas de nous que nous soyons parfaits, mais que nous acceptions d’être appauvris
afin d’entrer en toute hâte et sans réserve malgré notre faiblesse dans sa présence
bienheureuse.
Frère
Thibault (contributeur)