L’OBLIGATION DE LA DÎME ET LA PROMESSE DE LA BÉNÉDICTION DE DIEU ? Il est courant aujourd’hui d’entendre dire que la « dîme » est une obligation pour le chrétien, parce que la Bible elle-même la prescrit : « Toute dîme du pays prélevée sur les produits de la terre ou sur les fruits des arbres appartient au Seigneur ; c’est une chose consacrée au Seigneur » (Lv 27, 30). Il est courant d’entendre dire également que l’offrande de la dîme entraîne notre prospérité. De fait, un passage du livre de Malachie précise que celui qui ne donne pas la dîme encourt une certaine malédiction (cf. Ml 3, 8-9), mais que celui qui la donne fidèlement reçoit la bénédiction, et que Dieu lui ouvre les écluses du ciel (cf. Ml 3, 10).
Si nous
voulons comprendre correctement ces passages de la Bible-qui peuvent sembler
archaïques-, il faut d’abord nous demander ce que signifie exactement
l’offrande de la dîme, et pourquoi elle a été instituée. Nous serons mieux à
même de voir si la dîme doit être encore appliquée aujourd’hui dans l’Église.
L’INSTITUTION
DE LA DÎME ET L’ORGANISATION DES LÉVITES
Tout d’abord,
pourquoi d’après la Bible, l’offrande à l’égard des ministres du culte a-t-elle
été instituée, et pourquoi a-t-elle été fixée sous forme de « dîme »,
c’est-à-dire à hauteur de 10% ?
L’explication
en est clairement donnée dans le livre des Nombres. Les prêtres qui exerçaient
le culte à l’époque étaient exclusivement issus de la tribu de Lévi. Or, cette
tribu ne possédait pas de territoire, et donc par conséquent pas de revenu.
C’était là une volonté de Dieu pour que les prêtres soient exclusivement consacrés
au Seigneur : « Tu n’auras point d’héritage dans leur pays, il n’y aura pas de
part pour toi au milieu d’eux. C’est moi qui serai ta part et ton héritage au
milieu des Israélites » (Nb 18, 20).
C’est pour
cette raison précise que Dieu demande aux autres tribus de verser la dîme aux
lévites : parce que ceux-ci n’avaient pas de revenus qui provenaient de leur
terre, et qu’ils rendaient un service à tout le peuple d’Israël : « Voici : aux
enfants de Lévi, je donne pour héritage toute dîme perçue en Israël, en échange
de leurs services, du service qu’ils font dans la Tente du Rendez-vous » (Nb
18, 21).
QUE
DEVIENT L’OBLIGATION DE LA DÎME LORSQUE LES LÉVITES DISPARAISSENT ?
Jésus a
respecté l’offrande de la dîme, car l’organisation des tribus d’Israël et des
lévites existait encore à son époque. Il a seulement corrigé les pharisiens qui
la donnaient avec hypocrisie (Cf. Mt 23, 23 et Lc 18, 11-12). Cependant, après
la mort du Christ et la destruction du Temple de Jérusalem, l’organisation des
lévites a disparu, ils doivent laisser la place au Christ qui n’a pas voulu
être lévite afin de bien montrer qu’il inaugurait un culte nouveau (cf. He 7, 14).
Il y a bien un aspect du précepte de la dîme qui demeure dans l’Eglise. Comme
l’affirme saint Thomas d’Aquin – docteur commun de l’Eglise : « Le peuple doit
pourvoir à l’entretien des ministres du culte divin, qui ont la charge de son
salut : de même qu’il doit fournir aux serviteurs du bien commun, princes, soldats,
etc., la contribution nécessaire » (Somme théologique, II-II, q. 87, a. 1). Que
l’on soit dans l’Ancien ou dans le Nouveau Testament, c’est toujours un devoir
de justice que de subvenir aux besoins des ministres du culte.
Par contre,
ce qui ne demeure pas dans ce précepte, c’est la hauteur du pourcentage à
donner. Le calcul de la dîme des lévites était lié à la répartition de la terre
promise, et au fonctionnement des lévites qui avaient interdiction de posséder
des terres, et qui étaient au service des onze autres tribus d’Israël. La
détermination du pourcentage de cette offrande est désormais fixée par l’autorité
de l’Église, puisque c’est elle qui remplace l’organisation des lévites. Et
elle peut varier suivant les époques : « L’Église, appréciant l’opportunité des
temps et des personnes, pourrait déterminer différemment le pourcentage qu’on
doit acquitter » (Somme théologique, II-II, q. 87, a. 1).
Dans
certains cas, l’Église peut même estimer que les ministres ne doivent rien
imposer comme prélèvement d’argent aux fidèles. Par exemple, si les fidèles
d’une région sont trop démunis, ou s’il y a un risque de donner à penser que
l’Évangile ainsi que les sacrements de l’Église ne seraient pas un pur don
gratuit de la grâce de Dieu, mais devraient être achetés à prix d’argent. C’est
la décision que Paul a prise pour l’Église de Corinthe : « En annonçant
l’Évangile, j’offre gratuitement l’Évangile, sans user du droit que me confère l’Évangile
» (1 Co 9, 18).
… ALORS
FAUT-IL PAYER LA DÎME ?
Suivant les
diverses époques de l’histoire, l’Église a fixé diversement le pourcentage que
les fidèles devaient donner pour subvenir aux ministres du culte. Dans la
France du Moyen Age, l’Église a continué à fixer à 10 % l’offrande pour les
ministres du culte (à partir du concile de Tour en 567). La dîme a disparu en
1789 et a été remplacée par le paiement d’un salaire pour le clergé par l’état
français. Après la séparation de l’Église et de l’Etat en 1905, ce salaire a
été remplacé par le « denier du clergé », qui est devenu le « denier du culte
».
En France,
cette contribution est un don volontaire de la part des fidèles, il n’y a pas
de tarif. Chacun donne en conscience selon ses possibilités (cf.
église.catholique.fr). Suivant chaque pays, cette offrande est organisée
différemment. En Allemagne ou en Autriche par exemple, le denier est prélevé
sous forme d’un impôt. En Côte d’Ivoire, les paroisses fixent ordinairement le
denier du culte au salaire d’une journée de travail par an.
Le code de
droit canonique réaffirme ce devoir envers l’Église (cf. canon 222, §1), en
laissant à chaque Église particulière le soin de fixer ou non le montant. Les
fidèles sont donc tenus de subvenir aux besoins de leur Église à travers le
denier du culte et les quêtes, mais la dîme entendue comme 10 % du salaire
n’est pas obligatoire.
Ceux qui
s’appuient sur les versets de l’Ancien Testament pour imposer la dîme le font
en les extrayant de leur contexte et de l’ensemble de l’histoire du salut. Nous
ne sommes plus sous le régime des lévites et de la loi, mais sous le régime de
la grâce et de l’Église.
QUE
CHACUN DONNE SELON CE QU’IL A DÉCIDÉ DANS SON COEUR
Ceux qui
veulent donner un dixième de leur salaire à l’Église font un geste louable et
recommandable aux yeux de Dieu, mais il s’agit là d’une offrande volontaire qui
ne saurait en aucun cas être l’objet de pression ou de manipulation. Comme le
disait saint Paul à propos d’une collecte : « Que chacun donne selon ce qu’il a
décidé dans son coeur, non d’une manière chagrine ou contrainte ; car Dieu aime
celui qui donne avec joie » (2 Co 9, 7).
Le passage
de Malachie qui menace de malédiction ceux qui ne donnent pas la dîme, se situe
à l’époque de l’organisation des lévites, il ne doit pas être sorti de son
contexte (Ml 3, 8-9). La menace de malédiction, ainsi que la promesse de
bénédiction temporelle sont une première pédagogie de Dieu qui est propre à
l’Ancien Testament. Dieu s’adressait alors à des enfants qui étaient encore au
stade de la première éducation et de la crainte du châtiment. Mais ce temps est
révolu : « Nous ne sommes plus sous un pédagogue » (Ga 3, 25). « Vous n’avez
pas reçu un esprit d’esclave pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un
esprit de fils adoptifs qui nous fait écrier : Abba ! Père ! » (Rm 8, 15, cf. Ga
4, 1-7). Dans l’Évangile, le Christ ne promet plus de royaumes temporels, mais
le Royaume des cieux : « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le Royaume
des Cieux est à eux » (Mt 5, 3).
TROIS
SORTES DE DÎMES, LA DÎME POUR LES PAUVRES
Rappelons
d’ailleurs qu’il y avait en réalité trois sortes de dîmes. La première était
destinée aux prêtres. La seconde était destinée non pas au lévite, mais au
fidèle qui l’offrait, et qui la mangeait lui-même au Temple avec sa famille
(cf. Dt 14, 22-23), et la troisième était destinée aux pauvres (cf. Dt 14,
28-29).
Si quelqu’un
aujourd’hui veut continuer à donner un dixième de son salaire comme offrande
volontaire pour le Seigneur, il peut tout à fait la donner à des pauvres.
En effet,
comme l’affirme saint Thomas d’Aquin, dans la Nouvelle Alliance, c’est cette
dîme pour les pauvres qui doit être surtout développée et amplifiée : « La
troisième sorte de dîmes, celle qu’on devrait manger avec les pauvres, doit
prendre plus de place dans l’Église. Car le Seigneur ordonne non seulement de
donner la dixième partie, mais tout son superflu aux pauvres, selon Luc (11,
41) : « Ce qui reste, donnez-le en aumône. » - Quant aux dîmes qu’on remet aux
ministres de l’Église, eux-mêmes doivent les distribuer aux pauvres » (Somme
théologique, II-II, q. 87, a. 1, ad 4).
Frère
Thibault (contributeur)