COMMENCER L’ANNEE AVEC MARIE
L’Eglise ne propose pas de prières particulières pour commencer l’année, mais elle invite ses fidèles à reprendre la prière avec Marie, la mère de Jésus. De fait pour les chrétiens, le premier janvier est la solennité de Marie mère de Dieu. C’est sous ce vocable de Marie mère de Dieu – qui a été proclamé solennellement au concile d’Ephèse en 431 –, que les chrétiens veulent commencer à prier dès le premier jour de l’année. Ce titre de Marie mère de Dieu est ensuite repris quotidiennement par les chrétiens au terme de chaque Je vous salue Marie : « Saint Marie mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ».
Pourquoi passer par Marie ?
Pourquoi les chrétiens accordent-t-ils une telle importance à la
prière faite à Marie de telle sorte qu’il veulent recommencer l’année avec elle
? Afin de bien répondre à cette question, il nous faut tout d’abord loyalement
nous demander si passer par Marie ne nous éloigne pas au contraire de Dieu. Ne
pouvons-nous pas directement prier et invoquer Dieu ? Placer un intermédiaire
entre nous-mêmes et Dieu, n’est-ce pas un aveu d’impuissance et d’incapacité à
prier ? De fait, se cacher derrière quelqu’un qui va prier pour nous et comme à
notre place, cela ne revient-il pas à se tenir en retrait et ne jamais
découvrir la vraie puissance de notre propre prière ? Prier Marie peut
donc sembler être une démission de notre engagement dans la prière. La prière à
Marie n’est-elle pas teintée d’un certain infantilisme spirituel qui empêche
notre prière d’avoir toute sa dimension ?
Notre accès sans intermédiaire à Dieu
Afin de bien percevoir la place de Marie dans notre prière, tout
spécialement au début de l’année, il faut d’abord reconnaître qu’effectivement
chacun d’entre nous avons directement accès à Dieu. Il ne faudrait surtout pas
penser que nous devrions passer par Marie parce qu’elle aurait directement
accès à Dieu, tandis que nous-mêmes serions réduits à passer par quelqu’un
d’autre, comme si nous ne pouvions pas nous tenir immédiatement devant Dieu en
Jésus-Christ. Cette position est fausse, il n’y a pas d’un côté certaines
personnes qui seraient des spécialistes de la prière qui se tiendraient devant
Dieu et d’un autre côté des personnes incapables de prier – dont nous ferions
partie.
Tous nous avons un lien immédiat avec Dieu, parce qu’il est notre
créateur et Père, et qu’il nous a réconcilié avec lui en Jésus. De ce point de
vue, il n’y a aucune distance entre lui-même et nous. Cette proximité entre
chacun d’entre nous et Dieu notre Père se manifeste tout particulièrement dans
la prière d’adoration. Par cette prière fondamentale, nous nous tenons
immédiatement devant Dieu, nous reconnaissons que nous sortons directement de
ses mains et que nous pouvons nous reposer en lui comme son enfant.
Toute prière de demande est portée par l’adoration. Par
l’adoration, nous avons la conviction que nous pouvons nous tenir devant Dieu
parce qu’il nous aime comme un Père et qu’il ne peut rien nous refuser. Dieu
attend notre prière comme un père attend celle de son enfant qui doit exprimer
tous ses désirs : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes
choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en
donnera-t-il de bonnes à ceux qui l’en prient » (Mt 7, 11). De ce point de vue, les saints ne
sont pas plus que nous des spécialistes de la prière. Tous nous sommes comme
des enfants qui nous tenons devant Dieu et qui prions en balbutiant : « Nous ne savons que
demander pour prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous
en des gémissements ineffables » (Rm 8, 26).
La prière de Marie pour nous apprendre
à nous tenir devant Dieu sans distance
Précisément, cet accès immédiat et sans peur auprès de Dieu dans
le Christ Jésus est la première chose que Marie nous apprend. La prière de
Marie, loin de nous éloigner de Dieu et du Christ, nous aide à nous tenir sans
intermédiaire devant lui et à avoir les mêmes audaces qu’elle auprès de notre
Père céleste. Marie ne s’interpose pas entre nous-mêmes et Dieu, mais elle est
une mère qui nous porte et nous enfante à cette proximité inouïe avec Dieu, la
proximité des fils de Dieu qui peuvent dire librement « Abba ! Père ! » (cf.
Rm 8, 15).
Marie est bien un intermédiaire entre nous-mêmes et Dieu, mais
elle est un intermédiaire très particulier qui nous apprend toujours plus à
nous tenir directement et en pleine liberté devant notre Père en Jésus.
N’est-ce pas le propre de la mère que de donner toute la place à son enfant
sans jamais l’écraser ? Nous commençons à entrevoir pourquoi Dieu a voulu la
médiation des saints et tout spécialement celle de la Vierge. A la différence
des intermédiaires humains qui la plupart du temps augmentent la distance entre
nous-mêmes et ceux à qui nous voulons nous adresser, les intermédiaires que
sont les saints et la Vierge abolissent les distances.
Dans une entreprise par exemple, lorsque le directeur général
multiplie les intermédiaires cela a pour conséquence qu’il est de moins en
moins accessibles et en contact avec les employés qui sont au plus bas de
l’échelle. Dans notre rapport à Dieu, c’est exactement l’inverse, plus Dieu
multiplie les intermédiaires, plus il nous rapproche de lui. Cette affirmation
peut sembler paradoxale mais elle est profondément vraie, car ces intermédiaires
que sont les saints et la Vierge, s’effacent devant nous afin que nous
puissions nous tenir devant Dieu avec une confiance toujours plus totale. Au
sens précis la prière des saints n’est pas nécessaire, les saints sont des
médiations de surabondance qui nous aident à abolir les distances et nous
approcher de Dieu de façon encore plus audacieuse.
Un enfantement à l’amour de
prédilection de Dieu sur nous
Non seulement Marie nous aide à nous adresser directement au Père
en Jésus et à nous tenir librement devant lui, mais elle nous apprend plus
profondément encore à nous tenir devant Dieu comme son enfant de prédilection,
comme son préféré et son fils unique. De fait, le premier à avoir été enfanté à
cette préférence divine est l’apôtre Jean, le « disciple que Jésus aimait ». Marie est la préférée du Père, mais elle ne garde
pas cette préférence pour elle, Marie nous enfante à cette préférence, elle
nous la donne comme elle l’a donnée à saint Jean au pieds de la croix : « Jésus donc voyant sa
mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : «
Femme, voici ton Fils ». Puis il dit au disciple : « Voici ta mère ». Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui » (Jn 19,
26-27). Il ne s’agit pas ici d’une maternité humaine, mais bien d’une maternité
divine qui regarde notre enfantement à la grâce, c’est-à-dire à l’amour de
prédilection de Dieu sur nous. Marie la mère de Jésus intervient dans
l’enfantement du disciple bien aimé. En prenant Marie chez lui, Jean devient
pleinement le bien aimé, auprès de la bien aimée du Père. De la même manière,
en prenant Marie, nous devons le disciple bien aimé et l’unique devant Dieu.
Ne pas perdre de temps
Marie ne nous empêche pas de déployer la puissance de notre
prière. Bien au contraire, en nous aidant à devenir le disciple préféré de
Dieu, elle nous fait découvrir la véritable puissance de notre prière. Grâce à
Marie, notre prière acquiert une audace folle, car nous savons que comme Marie
nous pouvons tout demander à Dieu et qu’il ne nous refusera rien. Nous pouvons
certes prier seul sans la Vierge, mais nous nous exposons alors à perdre
beaucoup de temps. En effet, étant donnée notre condition de pécheurs, nous
sommes constamment tentés de nous replier sur nous-mêmes et de douter. Notre
prière risque alors d’être terriblement lente et peu confiante. C’est pourquoi
nous invoquons souvent Marie en disant :
« Priez pour nous
pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ». Lorsque nous prions avec Marie, nous reprenons
confiance devant Dieu par-delà notre péché.
Le début de l’année est un temps de recommencement. Or,
précisément lorsque nous recommençons quelque chose, nous avons besoin de
confiance et d’audace. Ce qui nous empêche le plus d’entreprendre et de lancer
de nouveaux projets, ce sont nos manques de confiance en nous-mêmes et en Dieu.
Ce sont également nos repliements sur nous qui nous mettent dans la peur, et
qui nous empêchent de regarder l’avenir avec assurance. C’est pourquoi nous
avons plus que besoin de prier avec la Vierge dès le début de l’année. Si nous
voulons tout recommencer auprès de Dieu sans perdre de temps, il nous faut nous
appuyer sur Marie. C’est elle qui nous apprend à nous adresser directement à
Dieu comme des enfants bien aimés et à lui présenter tous nos désirs et nos
projets avec une audace et une confiance sans limite.
Frère Thibault