La jeunesse renvoie certes à un âge particulier de la vie. Mais, elle est également un état d’esprit dans lequel l’homme doit persévérer au plus intime de son âme, celui de l’espérance. De fait, le jeune a une âme grande qui possède un élan et une force intérieure formidable que l’on nomme l’espérance. Dans le regard de Dieu, que signifie la jeunesse ?
L’ESPÉRANCE ET LA JEUNESSE
Dans la
Bible, depuis Abraham jusqu’aux luttes de l’apocalypse, Dieu ne cesse de remettre
l’homme dans l’espérance et de refaire constamment sa jeunesse.
Alors même
qu’Abraham a atteint l’âge de soixante-quinze ans, Dieu le met dans une
espérance et le fait entrer dans une jeunesse d’âme inédite : « Quitte ton
pays, ta parenté et la maison de ton père pour le pays que je te montrerai. Je
ferai de toi une grande nation ! » (Gn 12, 1-2). Ce rajeunissement intérieur culmine
dans le Christ qui remet dans l’espérance tous ceux qu’il trouve sur son
chemin.
Ainsi, la
samaritaine qui a été déçue par ses cinq maris et qui s’est résignée à la
corvée d’eau en plein midi est bouleversée par la rencontre du Christ et
retrouve auprès de lui la force de courir : « Si tu savais le don de Dieu et
qui est celui qui te dis : « donne-moi à boire », c’est toi qui l’aurais prié
et il t’aurait donné de l’eau vive. (…) L’eau que je lui donnerai deviendra en
lui source d’eau jaillissante en vie éternelle » (Jn 4, 10-14). Tous ceux qui
acceptent de se laisser rencontrer par le Christ sont amenés à faire cette
expérience de Résurrection intérieure qui leur permet de repartir avec un élan
qui les dépasse eux-mêmes : « Notre cœur n’était-il pas brûlant au-dedans de nous,
quand il nous parlait en chemin ? » (Lc 24, 32).
Quel est le
secret de cette espérance chrétienne qui permet de demeurer toujours jeune
quelles que soient les luttes traversées ?
PROJET HUMAIN OU PROMESSE DIVINE ?
Tout
d’abord, il est frappant de voir que dans la Révélation biblique, Dieu ne remet
pas l’homme dans l’espérance en lui disant exactement où il le conduit : «
Abraham partit sans savoir où il allait » (He 11, 8). Nous pensons parfois que
pour nous renouveler et nous remettre dans une dynamique de conquête, il
faudrait nous fixer de nouveaux « objectifs » à atteindre et savoir exactement
où nous allons. Une telle manière de voir nous fait aller de projets en projets
et peut maintenir en nous une certaine apparence de jeunesse, mais est-ce suffisant
?
Le secret de
l’espérance chrétienne ne réside pas là. Dieu ne remet pas l’homme dans
l’espérance en lui proposant des objectifs ou des cibles nouvelles à atteindre,
mais en lui faisant une promesse qui dépasse ses petits calculs humains : « Je
ferai de toi une grande nation » (Gn 12, 2).
En réalité,
le cœur de l’espérance chrétienne n’est pas d’abord un objectif à atteindre–qui
excède ce que nous pouvons imaginer–mais la promesse que Dieu nous accompagne
et nous conduit vers un au-delà de nous-mêmes. Lorsqu’un jeune ou un enfant doit
traverser un ravin, ce n’est pas de regarder de l’autre côté qui le met dans
l’espérance–cela risque plutôt de le décourager–mais de pressentir avec certitude
qu’un plus grand qui lui tient déjà sa main et lui promet de l’aider à
traverser.
De la même
manière nous entrons dans l’espérance divine non pas d’abord parce que nous
avons de grands projets, mais parce que le Christ qui a une ambition immense
nous fait pressentir qu’il se fait lui-même notre point d’appui et qu’il nous
aide à marcher.
L’espérance
divine est avant tout cet élan et cette assurance intérieure dans lesquelles
nous met la promesse de Dieu. C’est dans cette perspective que l’espérance
divine est un rajeunissement intérieur. Sans nous dire où nous allons exactement,
Dieu réveille nos forces vives en nous faisant sentir qu’Il nous accompagne
tout au long de notre chemin et qu’Il ne cesse de veiller sur nous.
LA
FOI ET L’ESPÉRANCE
De la même
manière que le chrétien est amené à poser quotidiennement des actes intérieurs
de foi afin d’accueillir en son cœur la Révélation de Dieu qui s’adresse à lui
à travers Sa parole, de même et de façon plus profonde encore, le chrétien doit
poser quotidiennement des actes d’espérance afin de se laisser saisir
intérieurement par l’ambition et la jeunesse de la promesse de Dieu à son
égard. De fait d’après la Révélation, il ne s’agit pas seulement de croire,
mais d’espérer en la parole de Dieu : « Toi mon abri, mon bouclier, j’espère en
ta parole » (Ps 119, 114).
Ce Psaume
doit résonner en nous comme une prière intérieure continuelle afin de laisser
l’espérance de Dieu gagner notre cœur.
La
différence entre la foi et l’espérance est importante à relever. Certains
chrétiens acceptent certaines vérités de foi, mais n’entrent pas encore dans
l’espérance. Ils peuvent croire par exemple que Dieu est le sauveur de tous les
hommes. Cependant l’espérance va plus loin.
Celle-ci ne
consiste pas seulement à penser avec certitude que tous les hommes sont sauvés
de façon générale, mais que moi-même je suis sauvé par Dieu et accompagné comme
l’unique sur le chemin particulier dans lequel je suis engagé. Faire un acte
d’espérance implique d’accueillir la grâce que Dieu veut me faire de me sauver
tel que je suis avec mon parcours particulier sans rien en idéaliser.
À ce titre
le grand obstacle de l’espérance chrétienne consiste à imaginer qu’étant donné
mon parcours ou mes chutes, Dieu ne peut plus rien faire pour moi ou qu’Il
aurait diminué son intention à mon égard. Faire un acte d’espérance implique
une lutte avec soi-même, avec nos voix intérieures qui nous accusent contre Dieu
: « Si notre cœur venait à nous condamner, Dieu est plus grand que notre cœur
et il connaît tout » (1 Jn 3, 20). La parole de Dieu et spécialement l’Evangile
attestent continuellement que Dieu n’est pas mis en échec par nos fautes, et
qu’aucune situation ici-bas n’est sans retour pour lui. C’est pourquoi la
parole de Dieu est un roc pour notre espérance et notre jeunesse intérieure.
L’ESPÉRANCE ET LE RAJEUNISSEMENT À L’ÉGARD DE NOS FAUTES
Le
rajeunissement le plus profond que l’espérance divine opère en nous est en
définitive à l’égard de notre péché. Le péché vieillit notre âme, car il nous replie
sur nous-mêmes, il nous culpabilise et nous fait nous regarder à travers nos
échecs et nos incapacités.
L’espérance
est le premier moment de notre libération du péché – et donc du rajeunissement
de notre âme–car elle nous donne la certitude divine qu’aucune faute n’est plus
forte que Dieu ni que Son ambition sur nous.
Certains
pensent par exemple qu’un acte d’impureté change le regard de Dieu sur eux.
L’espérance
nous permet au contraire d’avoir la certitude que si nous acceptons la promesse
de Dieu sans la diminuer, nous entrons à nouveau dans ce regard. Saint Jean a
l’audace d’affirmer que c’est l’espérance elle-même qui nous purifie de nos
péchés : « Quiconque a cette espérance en lui se rend pur comme celui-là même [le
Christ] est pur » (1 Jn 3, 3).
Dans la
Somme théologique, Saint Thomas d’Aquin se demande si notre espérance est
véritablement certaine ; c’est-à-dire si étant donné notre situation de pécheur,
il n’y a pas certains cas dans lesquels nous ne pouvons plus espérer en Dieu
avec une certitude absolue. Il répond que « l’espérance s’appuie sur la
toute-puissance et la miséricorde de Dieu, par quoi même celui qui n’a pas la grâce
peut l’obtenir, et parvenir ainsi à la vie éternelle » (Somme théologique
II-II, q. 18, a. 4). Tel est le secret le plus profond de l’espérance
chrétienne. Dieu ne renouvelle pas seulement Sa promesse pour nous soutenir dans
les circonstances difficiles que nous traversons, mais il renouvelle Sa
promesse de façon inconditionnelle jusque dans nos situations d’opposition et
de refus de Dieu : « Si nous sommes infidèles, lui reste fidèle, car il ne peut
se renier Lui-même » (2 Tm 2, 13). C’est là le rajeunissement intérieur le plus
radical que Dieu nous donne d’expérimenter : à l’égard de nous-mêmes et de nos
fautes qui nous figent et nous vieillissent.
LA PETITE FILLE ESPÉRANCE
Péguy, un
poète français affirme au sujet de l’espérance : « La foi que j’aime le mieux,
dit Dieu, c’est l’espérance. La foi, ça ne m’étonne pas. Ça n’est pas étonnant.
J’éclate tellement dans ma création.
Dans le
soleil et dans la lune et dans les étoiles. Dans toutes mes créatures. Que pour
ne pas me voir vraiment, il faudrait que ces pauvres gens fussent aveugles.
Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne. Moi-même. Ça, c’est
étonnant. Et je n’en reviens pas. Cette petite espérance qui n’a l’air de rien
du tout. Cette petite fille espérance. Immortelle » (Peguy, Le porche du
mystère de la deuxième vertu).
Frère
Thibault (contributeur)