Des mains coupées, des coupables d’adultère flagellés, des femmes voilées, la peine de mort appliquée… C’est à travers ces clichés que bien des lectures parcellaires identifient l’application de la Charia dans les pays musulmans.
Mais de quel
type de lois s’agit-il exactement ? De la loi constitutionnelle, de la loi
organique ou de la loi ordinaire ? Dans un tel contexte, la caricature arbore
rapidement le manteau de la démesure. Et pourtant, à la lumière des sources
scripturaires, aucun anachronisme ne s’invite à l’ordre du jour définitionnel
de la matière. Vu sous l’angle galvaudé du regard profane, il n’y a de Charia
que dans le droit pénal. Et pourtant, la réalité est toute autre. Interrogeons
la matière à la lumière de la science légiférée. Qu’est-ce donc la Charia ?
S’il ne s’agit que de concepts et de terminologie, on dira simplement que
chaque pays, musulman ou non, a sa propre Charia. L’esprit comprend ainsi
immédiatement que la Charia doit recouvrir une terminologie qu’il convient de
clarifier, pour ensuite lever l’équivoque des caricatures.
UNE APPROCHE DÉFINITIONNELLE
Autant le
dire ! la Charia n’est pas le droit pénal. Elle n’est pas le fait de couper la
main à un voleur, de flageller un fornicateur ou un coupable d’adultère. La
Charia n’est pas la peine de mort réservée aux assassins. ; ni le fait d’assujettir
les femmes et de les obliger à porter le voile.
Chaque mot a
un sens, et il est regrettable que le mot Charia sorte délibérément de son
contexte ; puisque l’objectif est de caricaturer toute une civilisation et
toute une philosophie comportementale, comme étant deux modes de vie et de
pensée barbares. La violence miroitée, le cliché de l’incommodité vendu !
Dans la
terminologie arabe, le mot « Charia » désigne le chemin et la voie de la
droiture qui mène à Dieu et qui comporte plusieurs branches, d’autant qu’il
s’agit de réguler et de réglementer les rapports du croyant à Son Seigneur et
envers les hommes. La Charia prend en compte l’ensemble des dimensions et
pratiques qui renvoient à l’essence de l’Islam, l’intimité de la paix avec le
Créateur, avec soi-même et avec son environnement.
Les savants
musulmans définissent la Charia par rapport aux cinq principales finalités
suivantes, tournant autour de la préservation ; de la religion, de la vie, de
la raison, de la filiation et de la propriété. Pour le grand Imam et penseur Ghazali,
ces finalités sont indispensables à l’équilibre social et s’inscrivent dans
l’ordre des obligations qui pèsent sur le croyant.
La Charia
est donc, en premier lieu, la préservation des relations de dévotion envers le
Créateur, et de bonne intelligence envers les hommes, dans la mesure où elle prend
en compte l’ensemble des règles qui définissent les principes d’harmonie du
champ relationnel entre le Suprême et le serviteur.
Le Charia
met ensuite l’accent sur toutes les injonctions qui sacralisent la vie et qui
encadrent sa préservation contre l’assassinat irraisonné ou le suicide. «
Quiconque a tué un être humain non coupable de meurtre ou de sédition sur la
Terre est considéré comme ayant tué l’humanité tout entière ; et quiconque a sauvé
la vie d’un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de
l’humanité tout entière ! » (Coran, Sourate 5, verset 2) « Et ne vous tuez pas
vous-même, Allah, en vérité, est Miséricordieux envers vous. Et quiconque
commet cela, par excès et par iniquité, Nous le jetterons au feu, voilà qui est
facile pour Allah » S 4 V 29-30
La Charia se
définit également par la préservation de la raison, c’est-à-dire, de tout ce
qui peut altérer le discernement et la bonne moralité de l’individu, ce qui
affecterait ses rapports avec Son Créateur et ses semblables. C’est dans cet
ordre d’idées que la consommation des stupéfiants est interdite en Islam.
« Tout ce
qui enivre est de l’alcool et tout ce qui enivre est illicite et interdit », a
dit le Messager d’Allah saw.
La Charia se
définit aussi par la piété filiale perçue, par exemple, dans les doctrines
chrétiennes ou confucéennes, comme étant un principe de perfection morale.
L’Islam fait de la famille, l’espace nucléaire de socialisation de l’individu,
avec une prime d’honneur accordée au mariage entre l’homme et la femme, comme
seule voie digne de perpétuation de l’espèce humaine.
La Charia se
définit enfin par la propriété, qui suppose la préservation de l’honneur et des
biens de l’individu. Conformément aux enseignements prophétiques, « l’honneur,
les biens et la vie du musulman sont sacrés. »
Comme on le
remarque, la substantifique moelle et le critère identificatoire de la Charia
découlent de l’application des valeurs spirituelles et morales, indispensables
à l’équilibre sociétal, gages de bonne relation avec le Seigneur et les créatures.
C’est d’ailleurs l’objectif visé par la quasi-totalité des pays musulmans qui
ont fait référence à la Charia dans leurs différentes lois fondamentales et
jurisprudentielles.
La Charia
est la source d’alimentation du droit islamique, c’est le référent et le
régulateur du contrat social, la source d’où le droit tire sa légitimité. Elle
est un ensemble de normes de vie, d’émanation divine, visant la préservation de
la religion, de la raison, de la vie, de la filiation et de la propriété. Les
aspects pénaux ne sont qu’une infime dimension du vaste ensemble du droit
islamique, lui-même inspiré de la Charia.
DÉCONSTRUCTION DES CARICATURES
A la lumière
de ce qui précède, on peut désormais affirmer que le profane utilise le mot
Charia en lui attribuant des identifiants qui relèvent d’une confusion et d’une
méconnaissance criante.
Une lecture
qui réduit le tout en la partie, alors que dans le fond, les éléments, parfois
indexés, ne sont eux-mêmes motivés que par les cinq axes définitionnels et de
la finalité de la Charia ; si bien que tous les principes et valeurs promus
sont réduits au rabais et à la caricature.
Les aspects
que brandit l’œil profane ne portent que sur les questions pénales qui ne
représentent qu’un pourcentage infime de la législation islamique, et qui dans
bien des cas, ne relèvent que du champ de l’exception du point de vue de leur
application.
D’ailleurs,
la finalité de ces principes pénaux en elle-même, est faite pour éviter que
l’on parvienne à son application. De manière concrète, si ce n’était parce que
la peur de l’Islam n’avait engendré tant de matraquage et de stupeur
injustifiée, le visiteur qui arrive en Arabie Saoudite, verra le marchand
laisser sa surface de vente d’objets coûteux estampillés d’or ou de diamant,
non couverts, pour se rendre à la Mosquée proche pour faire sa prière ; ou
encore, des magasins de vente d’objets précieux ouverts et sans gardiens
pendant les moments de prière. Et jamais, on n’entendra crier en pleine ville :
« Voleur, voleur ».
Ce niveau de
sécurité des biens et des personnes est le résultat de l’application du droit
calqué sur la Charia. La force de dissuasion imputable à ce droit, est beaucoup
plus forte que celle vécue ailleurs.
Du point de
vue de la Charia, l’application de certaines peines n’est possible que lorsque
toutes les dispositions sont prises au niveau de la gestion politique et
administrative, pour offrir les mêmes chances et les mêmes conditions de vie
sociale, meilleures à tous les citoyens.
En temps de
disette, le deuxième khalife de l’Islam, Oumar Boun Katab (raa) avait interdit
l’application de certaines peines. Car il avait indiqué qu’au regard de la Charia,
il fallait offrir des conditions de vie meilleure à tous, de sorte à ne plus
justifier de vol, avant d’appliquer les peines afférentes. La Charia met
toujours en avant l’aspect Moralité, Humanité et Dignité.
Lorsque le
chômage sévit et que la situation sociale est telle que certains vivent dans la
misère, couper la main à un voleur devient un abus et une injustice. Mais si toutes
les conditions sont réunies pour offrir le minimum à chaque citoyen, le vol
devient un trouble grave à l’ordre et à la paix sociale. L’application de telles
peines a contribué justement à ne plus avoir dans ces pays, des cas de coupures
de bras, contrairement à la quasi-totalité des pays occidentaux pourfendeurs de
la Charia, où les populations sont, chaque jour, meurtries à la suite
d’opérations de vols, de braquages, etc.
La
corruption, l’insécurité, l’instabilité, la vengeance et tous les maux
engendrés par le facteur de la soustraction frauduleuse ou par le banditisme de
grand chemin, se trouvent ainsi jugulés par cette forte prévention dissuasive.
Toute
prescription de source divine porte en elle les germes et les sources d’un bien
et d’une sagesse, ignorés des hommes. Tout n’est pas que lois physiques ; et la
dimension spirituelle des choses est parfois plus profonde qu’on ne le pense.
«
Rappelez-vous que votre Seigneur dit aux anges : « Je vais mettre un
représentant (un dieu temporaire) sur terre. » Ils dirent : « Y mettras-Tu quelqu’un
qui y propagera le mal et fera couler le sang alors que nous chantons Tes
louanges, Te glorifions et soutenons Ton absolue autorité ? » Il dit : « Je
sais ce que vous ne savez pas. » S 2 V 30.
C’est le cas
pour toutes les interdictions, recommandations ou injonctions. Par exemple,
lorsque le Seigneur intime l’ordre à la femme de porter l’habit de décence qui
prend en compte le port du voile, Il ferme à la racine toutes les portes
susceptibles de conduire à la tentation et à la corruption des mœurs.
La rébellion
de l’homme à ne point respecter ces différentes injonctions, a fait de notre
monde, un espace de dépravation permanente, de perte de nos valeurs et
d’insécurité croissante.
On le voit
clairement, la Charia n’a jamais été une invention barbare, oppressive et
étouffante. Le Messager de l’Islam, Mouhammad (saw) n’a été que la dernière
brique venue apporter à l’édifice prophétique, sa forme et dimension entière.
A ce titre,
il n’a fait que suivre et parachever la voie de ses prédécesseurs, c’est-à-dire
la Charia, qu’ils ont reçue de Dieu et qu’ils ont enseigné à l’humanité. « Il vous
a légiféré en matière de religion, ce qu’Il avait enjoint à Noé, ce que Nous
t’avons révélé, ainsi que ce que Nous avons enjoint à Abraham, à Moïse et à
Jésus : « établissez la religion ; et n’en faites pas un sujet de division ».
Ce à quoi tu appelles les associateurs leur paraît énorme. Allah élit et
rapproche de Lui qui Il veut et guide vers Lui celui qui se repent. » S 42, V 3
Nous
évoluons aujourd’hui dans des contextes où la géopolitique mondiale et les
guerres d’intérêts hégémoniques ont engendré de nombreux cercles nébuleux, de
penseurs, de systèmes à la solde, qui se sont engagés sur le front de la
diabolisation de l’Islam, et où la communication n’a pas toujours été au
service de la vérité.
TOUTE PASSION GARDÉE, JAMAIS DANS LA RÉBELLION AUX SAGES INJONCTIVES DIVINES, L’HUMANITÉ NE CONNAITRA LA STABILITÉ, LA PAIX PROFONDE ET LE BONHEUR VÉRITABLE
L’instabilité
que nous vivons aujourd’hui à l’échelle mondiale, vient en partie de cette
rébellion de l’homme, et la stabilité ne sera possible qu’avec sa
réconciliation et les valeurs promues par Son Seigneur.
El Hadj Diabaté
Fousséni (journaliste-écrivain, contributeur)