« J’ai fait mon stage-ouvrier à la PISAM. Quelqu’un a alors raconté à mon père que j’ai dit que je serai le futur PDG de la PISAM. Sans se soucier du fait que je l’ai dit ou pas, mon père m’a « proprement ramassé’ » en me rappelant que ce n’était pas parce que j’étais son fils que je serais de facto PDG de la PISAM, mais qu’il me faudrait travailler et faire mes preuves. Il m’a donné ce jour-là une belle leçon. Je me suis donc battu et tout ce que j’ai eu durant ma carrière professionnelle, je l’ai gagné à la sueur de mon front ».
Éric
Benjamin Djibo Bakary est certes issu d’une famille connue. Mais rien ne prédestinait
le petit-fils de l’ancien député et vice-président de la première législature
de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire de 1959 à 1960, Djibo Sounkalo, à une
belle réussite. Son père lui rappelait sans cesse « qu’on ne lui avait rien légué
». Il fallait alors qu’il se batte tout seul pour gravir les échelons, se
remémore-t-il.
Ces paroles
dépourvues de scories ont constitué le ferment qui a transformé la vie du
jouvenceau. Il n’était pas question d’échouer. Alors, il fait un parcours scolaire
presque sans faute. Il cumule de belles notes à l’école primaire du Cours
Fontaine, puis au collège Notre Dame d’Afrique jusqu’en classe de Seconde.
En 1986, il
intègre le prestigieux collège Jean Mermoz. Premier choc : en classe de
Première, il obtient 8 de moyenne sur 20 au premier trimestre. Le lauréat du probatoire
à Notre Dame d’Afrique est hué par ses camarades de son nouvel établissement.
« Je suis
rentré en pleurant, je n’avais jamais eu ça. Mais rapidement, j’ai performé aux
second et troisième trimestres. Je m’en suis bien sorti », se souvient-il. Éric
Djibo continue sur cette lancée et obtient le baccalauréat en 1988. Il intègre
l’un des établissements d’élite, l’Ecole supérieure de commerce d’Abidjan
(Esca) de Yamoussoukro.
« Là-bas, on
nous a appris à être les meilleurs ; et que personne ne nous surclasse. Donc
quand on arrive en entreprise, c’est un choc pour les autres parce qu’ils nous
trouvent prétentieux », explique-t-il.
LE BAPTÊME DE L’EMPLOYABILITÉ
En quatrième
année de l’Esca, Éric fait son entrée dans un cabinet de conseils et audit.
C’était un stage pré-emploi. L’année d’après, toujours dans la même structure,
il fait ses preuves puis part en France. « On était payé comme des Français,
c’était la belle vie parce que je commençais à percevoir un salaire intéressant
», se souvient-il avec un sourire aux lèvres.
Ses
résultats impressionnent ses supérieurs. Il rentre dans son pays en tant que
sénior 2 de la même structure. Toutefois, cela ne dura qu’un court instant. En
1993, il est candidat au poste d’assistant financier d’une grande société :
Coca-Cola. Sans coup férir, il rejoint la multinationale.
« J’ai eu
une belle carrière chez Coca-Cola parce j’avais un très bon esprit, j’étais
travailleur, taquin. J’étais au service Finance, on couvrait plusieurs pays.
J’ai commencé comme assistant financier, puis je suis passé à responsable de budget.
Plus tard, Coca-Cola a créé un petit groupe d’élite pour superviser des
embouteilleurs de la zone hors CFA ».
L’infatigable
travailleur fait le tour des embouteilleurs de Coca- Cola, Abidjan, Accra,
Casablanca et Marrakech. Il s’envole pour la Sierra Leone en 2005. Cependant,
cette nouvelle expérience ne répond pas exactement à ses attentes.
« Ç’a été un
petit choc parce que c’était moins développé. La solitude a généré en moi
l’amour du golf. J’ai découvert que j’avais un petit don, je me suis donc
équipé (…) j’ai pris des responsabilités au golf, j’étais capitaine de jeu. J’y
ai organisé le tournoi de l’Open, qui n’existait plus depuis la guerre de 1992.
Le président de la République d’alors a assisté à la cérémonie ».
Après huit
ans d’exercice, le fils du fondateur de la Polyclinique Internationale Sainte
Anne-Marie (Pisam), William Djibo, est nommé directeur général adjoint de
l’embouteilleur. Son supérieur hiérarchique de l’époque, un Européen en place depuis
de longues années, lui mène la vie dure.
« Il a
d’abord commencé à me calomnier. Il a tout fait pour me décourager. Quand je
suis arrivé, il m’a affecté une vieille voiture, c’était difficile de la
conduire parce que le pays est montagneux. Malgré tout, je faisais mon travail
».
Évidemment,
cela ne l’arrêta pas. Six mois plus tard, ses impressionnants résultats sont
reconnus par les actionnaires, qui le nomment à l’unanimité, directeur général
de l’embouteilleur.
L’année suivante,
il réalise des ventes record pour la société. Il part de Coca-Cola en 2009 avec
un bilan des plus reluisants. Éric Djibo se lance dans l’importation du riz et
du sucre avec un partenaire, qui finira par lui jouer un mauvais tour en 2011.
C’est la faillite. Un an après, il s’oriente vers un fonds d’investissement.
Une aventure
qu’il juge intéressante. Il était le directeur général d’une entreprise au
Ghana, qui fabriquait du ketchup et de la mayonnaise locale.
Il se
précipite en Côte d’Ivoire en février 2014, date du décès de son père. Coup dur
pour ce manager à l’aisance relationnelle ! Il fallait d’urgence reprendre les
rênes de la PISAM.
MÉDECIN PAR PROCURATION
Éric Djibo
est né le 7 mai 1971 en France, de parents du corps médical. Sa mère était infirmière
anesthésiste et son père chirurgien traumatologiste. Le destin en a décidé
autrement pour sa carrière professionnelle. Il choisit le management, un bel
atout pour la polyclinique qu’il a désormais en charge. A son arrivée, la
polyclinique croulait sous le poids des dettes.
« Nous avons
fait le tour des banques et l’ex-Société générale de banque en Côte d’Ivoire (SGBCI)
devenue aujourd’hui Société Générale Côte d’Ivoire, ndlr) a décidé de nous accompagner
avec 10 milliards de FCFA. (…) Nous avons donc commencé le grand projet de
réhabilitation appelé PISAM 2.0
Nous sommes
fiers de ce que nous avons accompli parce que la PISAM d’aujourd’hui n’a rien
avoir avec celle de 2014. Nous continuons à rénover et à nous équiper », se
réjouit le PDG de la polyclinique.
Son plus grand regret, avoue-t-il, est de n’avoir pas fait la médecine. Les nouvelles responsabilités qu’il acquiert dans cet établissement sanitaire le rendent, pour utiliser ses propres termes, « médecin par procuration ». « Car, lorsqu’on achète du matériel médical qui peut sauver une vie, on devient médecin par procuration’’ », ironise-t-il. Son ambition est de faire de la PISAM un hub sanitaire de l’Afrique de l’Ouest.