S’il y a bien une chose qui ne peut pas se commander, c’est l’amour. Nous pouvons commander à nous-mêmes et aux autres de ne pas tuer, de ne pas voler et de respecter notre prochain. Mais pouvons-nous commander d’aimer telle ou telle personne ? De fait, nous pouvons commander tout ce qui est en notre pouvoir. Il est en notre pouvoir de respecter notre prochain, de ne pas lui faire du mal et même de lui apporter notre aide et de le servir. Mais éprouver un amour intime pour notre prochain, est-ce vraiment en notre pouvoir ?
Nous ne
pouvons pas obliger une personne à nous aimer. Nous ne pouvons pas non plus
commander à notre cœur d’aimer telle personne. L’amour à sa racine nous
échappe. Nous pouvons certes créer des conditions favorables, mais nous ne pouvons
pas éveiller l’amour lui-même : « N’éveillez pas l’amour avant qu’il le veuille
» (Ct 2, 7).
Or, c’est
bien de cela dont il s’agit dans le commandement du Christ : « Tu aimeras ton
prochain comme toi-même »
(Mt 22, 39).
Comme toi-même, c’est-à-dire en entrant dans l’intimité de ton prochain, de la
même manière que tu es intime à toi-même. Il ne s’agit pas seulement de rendre service
à notre prochain, ni même d’être bienveillant à son égard, mais faire qu’il
devienne aussi intime à notre cœur que nous-mêmes. Lorsque le Christ donne le
commandement de l’amour du prochain, il parle de l’amour au sens le plus fort du
terme. C’est pourquoi, si nous prenons vraiment ce commandement au sérieux, il
peut nous sembler impossible à accomplir.
UN COMMANDEMENT PROPRE AU CHRIST
En réalité,
Dieu seul peut réaliser pleinement ce commandement en nous. Dieu seul peut
commander l’amour, l’éveiller et le garder dans notre cœur et celui de notre
prochain, puisque lui-même en est la source. C’est pourquoi si nous voulons
accomplir ce précepte, il nous faut nous tourner vers Dieu qui en est l’auteur et
lui demander inlassablement qu’il vienne lui-même commander à notre cœur
d’aimer. Ce commandement nous fait mendiant de Dieu, car nous ne pouvons pas le
réaliser si Dieu n’est pas directement à l’œuvre en nous.
Le Christ
est celui qui s’est toujours tourné vers son Père pour réaliser et garder ce
commandement : « J’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son
amour » (Jn 15, 10). Lors de sa Passion, le Père lui a commandé de nous aimer
de façon inimaginable et de rejoindre chacun de nous de l’intérieur jusque dans
notre déchéance pour que nous devenions aussi intimes à son cœur que lui-même.
C’est le
Christ lui-même qui nous apprend à vivre de ce commandement et qui nous y
introduit. Dans l’Évangile de Jean, le Christ affirme explicitement que le
commandement de l’amour est son commandement et qu’il le réalise pleinement au
moment où il donne sa vie pour nous : « Voici quel est mon commandement : vous
aimez les uns les autres comme je vous ai aimés. Nul n’a de plus grand amour
que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 12-13).
L’ORDRE DE LA CHARITÉ
Au
Moyen-âge, les théologiens aimaient dire que, pour entrer dans ce commandement
du Christ, il fallait respecter un certain ordre. D’après eux, il faut d’abord
aimer Dieu, ensuite s’aimer soi-même, et ensuite seulement aimer notre
prochain. Cet ordre est plein de sagesse. Nous ne pouvons aimer notre prochain
comme nous-mêmes que si nous acceptons d’abord d’avoir été saisis par l’amour de
Dieu et que nous nous aimions ainsi nous-mêmes.
« Charité
bien ordonnée commence par soi-même ». L’amour pour notre prochain n’est pas
une sorte de bienveillance universelle que l’on imposerait de l’extérieur, mais
il découle de l’expérience d’avoir été aimé(e) et saisi(e) par Dieu dans le Christ
: « En ceci consiste l’amour, ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est
lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils » (1 Jn 4, 10).
Si nous
voulons accomplir ce commandement du Christ, il nous faut mendier sans cesse
auprès de lui cette expérience de grâce pour nous. Seule la présence du
crucifié pour nous peut élargir notre cœur pour nos frères et bouleverser
suffisamment notre vie pour que nous allions au-devant d’eux : « À ceci nous
avons connu l’Amour : celui-là a donné sa vie pour nous. Et nous devons aussi donner
notre vie pour nos frères.
Si
quelqu’un, jouissant des biens de ce monde, voit son frère dans la nécessité et
lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui
?» (1 Jn 3, 16-17).
Frère
Thibault (contributeur)