Elles sont une matrice culturelle et sociale et sont au coeur de la construction des individus. Les langues maternelles : la nécessaire valorisation.
En 2020, le mot « boucantier » fera son entrée dans le Petit Larousse. Bien avant cette expression, c’était le terme « s’enjailler » qui ouvrait la porte des mots Nouchi (argot ivoirien) à l’académie française. Deux percées qui rappellent avec plus de pertinence, et sans prudence, l’importance des langues maternelles et de leur nécessaire promotion.
La culture
est dans la langue et est véhiculée par une langue. Selon des ethnologues, la
construction de la société via les individus ne saurait en effet, s’en défaire
et les langues maternelles sont la manifestation d’une culture. Elles sont un
support identitaire privilégié qui s’ajoute à d’autres repères identitaires
notamment l’histoire et les traditions mais aussi la religion, tout comme le mode
de vie, le type d’éducation, ou encore, le sens donné à la famille. Autour
d’elle se fondent l’appartenance ethnique, l’histoire, les rites, les codes de
droits, les revendications et le patrimoine culturel en général. Cette réalité
charge la langue maternelle d’un pouvoir immense.
Les langues
maternelles se posent comme un enrichissement à la mondialisation. Leur
valorisation serait une autre invitation à plus de respect pour nos valeurs,
ainsi qu’au rejet de l’acculturation, cet autre ‘’racisme’’ ethnique et
culturel bien porté il y a plus d’un demi-siècle par Frans Placide Tempels qui
soutenait dans son ouvrage Leçons sur la philosophie que l’Afrique n’a aucune
culture.
« Nègre sans
culture », disait-t-il, déclarant que « la civilisation bantoue sera chrétienne
ou ne sera pas ».
« Le
développement de l’Afrique suivra quand nous commencerons profondément à
réfléchir à travers nos langues maternelles, mais également quand nous
parviendrons à acclimater la technologie actuelle à notre vision du monde et à
la penser dans nos langues », explique André Marie Beuseize, linguiste,
enseignant à l’université Houphouët-Boigny d’Abidjan.
« Les
langues maternelles sont pour l’Africain ce qu’est le bâton pour l’aveugle »,
dit-il. L’abandon des langues maternelles signifierait un rejet de notre identité,
une acceptation de l’aliénation et un pseudo développement à partir seulement des
codes des autres civilisations, notamment de l’Occident.
BRISER LA GÊNE
Séduit par
les autres langues venues de pays dits développés, l’Africain développe un
complexe à parler sa langue maternelle. Encouragé presque par des systèmes éducatifs
essentiellement portés sur l’apprentissage des langues étrangères pour des
nécessité d’ouverture au monde, les langues maternelles sont souvent mises à
l’écart.
Faisant
trôner l’anglais ou le français comme les langues par excellence, celles du
développement, d’où la honte, le refus visible ou voilé des Africains de
s’exprimer en langue locale. Une gêne à briser, un affranchissement nécessaire
pour affirmer les poings serrés son identité.
PROMOUVOIR SANS OPPOSER
La promotion
des langues locales africaines ne passe cependant pas par son opposition au
français ou à l’anglais ou encore au chinois car l’univers linguistique ne se
réduit pas aux formes d’une seule langue. La mise en perspective des langues acquises
s’impose.
L’anglais
n’est pas contre le français encore moins le français contre les langues
africaines. Toutes devraient constituer le levain d’un développement harmonieux
sans volonté d’avalement d’une culture ou d’une langue par une autre, mais pour
porter au trône le plurilinguisme, dans lequel les individus peuvent gérer à la
fois ce qu’ils ont de plus proche et de plus intime, et la nécessaire ouverture
sur le monde.
La rédaction