Avoir un enfant handicapé, ces femmes ne s’y attendent pas. Et un jour, la vie le leur impose. Arrive alors le temps de la responsabilité. Un métier à plein temps qu’il faut épouser. C’est ce que ces mères ont fait. Reportage.
Assise à même le sol. Ayant du mal à se tenir debout. Avec le regard fuyant. La fillette - de quatre (4) ans - n’est tout de même pas indifférente à la chanson qui sort de la radio. C’est d’ailleurs la seule chose qui réussit à lui arracher le sourire. Comme Katia, ils sont nombreux, les enfants handicapés (moteurs ou psychiques) qui vivent aux dépens des autres.
Faut-il le
prendre bien ou mal ? Si oui, que faut-il faire pour s’y adapter ? L’éducation
et l’intégration de l’enfant ? En famille et au-delà ? Une multitude de
questions auxquelles nous allons tenter de répondre. Pas nous, mais elles. Ces
femmes « ivoiriennes », qui ont accepté de nous recevoir. Là-bas, chez elles.
Là où les visiteurs (d’un jour) n’ont ni le temps ni l’énergie nécessaires de
(vraiment) s’accommoder à l’ambiance. Et quoi qu’ils fassent, le parfum de la
douleur les emporte, aussitôt qu’ils franchissent le pas de cet univers. Dans
les yeux de ces êtres fragiles, l’on peut aisément lire qu’ils sont à la
recherche du bonheur. Et même qu’ils l’ont trouvé, à leur façon.
AU ROYAUME DES HANDICAPÉS
Dans
certaines coutumes africaines, l’enfant est purement et simplement « raccompagné
» (tué). Parce que considéré comme « source de malheurs ». Aujourd’hui encore,
d’autres familles préfèrent le jeter à la poubelle ou le déposer, incognito,
dans un centre d’accueil. Au grand désarroi de la mère. Elle devra le porter,
sur sa conscience, toute sa vie. « Des parents irresponsables. Ils n’aiment pas
leur petit. Ils préfèrent s’en éloigner. Et ce sont les autres qui doivent s’en
occuper à leur place.
C’est
honteux ! », tonne Marguerite SEKONGO (63 ans, assistante sociale à la
retraite).
À propos, un
rapport du Bureau international catholique de l’enfance (BICE) révèle qu’en
Côte d’Ivoire les enfants handicapés sont particulièrement vulnérables et sont
négligés. C’est pourquoi le gouvernement ivoirien, à travers les structures
spécialisées et les partenaires, s’active pour améliorer l’environnement. Et
même si les résultats ne sont pas (encore) à la hauteur des attentes, l’on peut
d’ores et déjà se satisfaire de la volonté affichée.
Des
établissements et services pour enfants abandonnés – et souvent handicapés, il
en existe bien en Côte d’Ivoire. Ces centres accueillent et accompagnent
régulièrement les enfants qui souffrent d’un (poly)handicap. Sont-ils vraiment
efficaces ? Les parents ont-ils (toujours) les moyens de répondre aux factures de
traitement ? « Le sort de la plupart des enfants est donc connu. La rue, comme
mendiants ou drogués. Sinon, c’est la prison parce que devenus bandits.
Malheureusement, nous n’avons pas toujours assez de ressources pour faire face
à tous les cas. » Des explications de Clémentine ADOH, responsable de l’ONG
Enfants Alafia. Tout dépend de là où ils atterrissent et des gens qu’ils
rencontrent. C’est donc une affaire de chance.
À quand,
donc, une véritable réforme d’assistance et de prise en charge minimale pour
les enfants (poly)handicapés ?
La seule
alternative pour ces adolescents, ce sont des structures spécialisées peu
coûteuses, conformément aux objectifs du millénaire de l’Onu (Organisation des
nations unies). Mieux, l’État ivoirien devrait rendre plus effectives les
réformes sur la Couverture maladie universelle (CMU).
En attendant
cela, des femmes ont pris le taureau par les cornes. À leur avis, il n’est pas
question de s’apitoyer sur leur sort. Le destin en a décidé ainsi, il faut
l’assumer.
DE LA RESPONSABILITÉ
Chaque jour,
elles sont confrontées aux questions (vitales) de santé publique. Autant de
problématiques auxquelles vient s’ajouter la charge d’un enfant « anormal ». La
compassion, au rendez-vous, est vite rattrapée par le bien-être vital. Celui d’apporter
une lueur d’espoir à un citoyen (pas comme les autres). Dans ces familles-là,
maman a réussi à vaincre le signe indien.
Aussi, parce
que, estiment-elles, ces enfants n’ont pas demandé à naître, donc ne méritent
pas un tel châtiment. C’est le cas de Hadja Korotoum (54 ans, ménagère), qui
s’est retrouvée avec un garçon bien portant à la naissance. Celui-ci a perdu la
vue à quatre (4) ans. « Au départ, il avait du mal à reconnaître les couleurs
et les gens. La situation s’est compliquée peu après. Depuis lors, il a eu
besoin d’assistance. Avec le temps, il a tout de même réussi à s’adapter. Il
m’a fallu beaucoup de patience pour lui transmettre les fondamentaux. », confie
la mère.
« Dans cette
partie du monde, il n’y a pas (de primes) d’allocations d’éducation de l’enfant
handicapé. Pis, votre enfant est rejeté par la société. Vous le ressentez à
travers lui. Lorsque vous voulez l’aider, la nature ne vous donne pas tous les
moyens. On s’attend (par exemple) à un miracle. Mais la réalité est là, il faut
mettre la main à la pâte. C’est ce que j’ai fait pour que la confiance
s’installe, et que mon fils, le bras droit déformé, s’adapte […] », nous
explique Sabine BOUTCHOUE (41 ans, vendeuse de poisson).
« Le destin
vous fait des surprises désagréables. Il faut être une femme qui craint Dieu
pour accepter de porter ce fardeau.
Celui
d’avoir mis au monde un enfant handicapé physique ou mental. », nous raconte
Evelyne TOKPA (48 ans, officier de police). Sa fille se trouvait suffisamment
vilaine chaque fois qu’elle se voyait dans une glace. Les pleurs (qui
suivaient) rendaient suffisamment triste sa mère. Elle dut le porter jusqu’à ce
qu’un jour, elles décident, ensemble, de voir les choses du bon côté. Que
faut-il pour avoir cet état d’esprit ?
DES RETOMBÉES
Quand on est
un jeune couple, on s’imagine vivre longtemps heureux et avoir de beaux
enfants, jusqu’au jour où la réalité nous trahit. À ce moment-là, les liens
doivent être suffisamment forts pour que le couple puisse demeurer. Quand le
cap n’est pas franchi, le couple s’enfonce dans les regrets, la dépression et
l’isolement ; alors que c’est l’occasion de faire preuve de créativité. « Nous
ne savions pas quoi faire. Et cela a plombé notre relation. Il a fallu
l’intervention de nos parents pour que nous arrivions (enfin) à prendre les
choses en main. Notre premier fils se porte mieux. Mon épouse aussi. » Des confidences
d’ACHI Paul, 46 ans, agent de banque.
Cette
situation, inattendue, révèle les problèmes conjugaux. D’une famille à l’autre,
la question est abordée de façon différente. Elle rappelle surtout qu’être
marié(e) prend en compte à la fois les bons et les mauvais moments. Tout dépend
de l’angle sous lequel l’on appréhende les choses. « Il y a longtemps que nous
attendions un enfant, confie Eléonore Noura KOFFI (38 ans, couturière). Notre
couple battait de l’aile jusqu’à ce que vienne au monde notre ‘‘ bout d’chou
’’. Notre joie a été de courte durée. Alors qu’il quittait l’école avec ses
amis, notre fils a été victime d’un accident de circulation. Heureusement, il
s’en est tiré avec (juste) une jambe coupée. Après la rééducation, il a
désormais une prothèse. Je suis fière de sa capacité à aller de l’avant. »
La période
de l’enfance reste décisive dans le processus d’éducation et de développement
d’un handicapé. On se sent « moins bons » parents lorsque celui-ci n’assimile
pas les codes. Une sorte d’échec qui blesse. Il faut donc se battre pour
l’aider à prendre le dessus. Joseph devient sourd et muet à l’adolescence.
Commence alors le chemin de croix pour sa mère Rosalie GBELIA (65 ans),
paysanne à Sinfra. Contre tous, elle va parcourir les spécialistes, voire les
guérisseurs (réputés) du pays, pour que son cinquième enfant retrouve ses
facultés. Hélas, cela ne changera rien. Elle s’est assurée parallèlement que le
jeune homme l’accompagne dans les plantations familiales pour apprendre les
secrets de la terre. « À 37 ans, Joseph est en couple et père d’une fille (bien
portante) », livre-t-elle.
Selon les
psychologues, il faut espérer que les parents soient (toujours) ensemble. Quand
ce n’est pas le cas, le chemin de la rééducation est long et aléatoire. Cela a
nécessairement une répercussion sur l’enfant, puisque ce dernier ne perçoit pas
systématiquement l’amour de ses géniteurs (qui devraient collégialement l’aider
à surmonter l’épreuve).
« Quand je
regarde dans ses (petits) yeux, je lis qu’elle revendique son droit de vivre
aussi, souligne Flore ZÉZÉ (47 ans, ingénieure informaticienne). Ma fille a
accepté son handicap. J’ai donc décidé d’être, moi aussi, une mongolienne pour
communiquer avec elle. Et ça marche ! Aujourd’hui, Rose est la source de mon bonheur.
»
Il y a ces
femmes handicapées, elles aussi, à la charge d’enfants handicapés. Sans la
possibilité de pouvoir bénéficier d’assistance médicale pour leur progéniture.
C’est une autre paire de manches. Nous en reparlerons certainement une autre
fois. Pour le moment, il faut louer le courage de ces « super mamans », qui ont
déstigmatisé le handicap de leurs enfants. Et qui en ont fait des «
super-enfants ».
La rédaction