Ce jour-là, à cette rencontre des têtes pensantes du monde universitaire et des Hommes de culture, un professeur d’université s’était interrogé : « Mais pourquoi ces musulmanes tiennent-elles tant à un si petit morceau de pagne sur la tête ? » Une lecture restée à la superficie de la tête de ces femmes, sans disséquer toute la substantifique moelle de la conviction intime de cœur et de foi à laquelle ce voile reste attaché.
Semble-t-il,
il est une tradition chez l’Homme noir de briller par l’art de répondre aux
questions par des questions (juste un cliché). Et je me suis interrogé : « Mais
diantre, pourquoi un si petit morceau de pagne indispose-t-il tant ? »
Et c’est
aussi cela, le jeu de la dialectique, bousculer et booster le regard de l’autre
pour lui permettre de transcender la plate réalité des superficies, afin de
s’instruire de la profondeur qui échappe à l’oeil de la doxa et du « là
sensible ».
Là où le
vent de la mode et de l’héritage culturel cherche vaille que vaille à le
traîner, le voile islamique n’entend certainement pas se détacher du tronc de
l’arbre de la foi.
En quoi donc
ce « petit morceau de pagne », au-delà de l’aspect culturel, représente-t-il un
morceau de foi et un signe d’appartenance à tout un univers de valeurs ?
LE
PORT DU VOILE, UN ACTE CULTUREL
L’existence
du voile au cœur de la péninsule Arabique avant la clôture du cycle prophétique
est un fait avéré de l’histoire. Quand bien même il pouvait être le fruit d’un
héritage cultuel, il a su transcender le temps et l’espace. Dans certaines
contrées et cultures, il était dénué de toute connotation religieuse et
symbolisait à la fois la modestie et l’effacement de la femme dans les milieux
publics. Pendant que, pour certains, il constituait une simple parure,
ailleurs, il indiquait le statut de la femme (femme mariée, jeune fille
chaste), et cela constituait pour elle un signe social distinctif et une porte
de protection.
L’histoire
montre d’ailleurs que le port du voile, dans sa dimension et son approche
culturelle, relève de la pratique de générations très lointaines, que l’on
situe dans l’histoire avant même l’avènement du Messie JÉSUS (as). Par contre,
il est difficile de mettre à nu les différentes interactions avec les
révélations divines des premières heures, et de dire si le fait cultuel a
hérité ou non du fait religieux.
Toujours est-il
que le voile était porté au coeur de la péninsule Arabique avant même
l’avènement du Prophète Mouhammad (saw). Certaines femmes le portaient par
simple goût culturel, et d’autres par goût de pudeur. Cette approche aura
résisté à l’usure du temps, dans la mesure où de nombreuses femmes portent le
voile aujourd’hui dans les pays dits musulmans, beaucoup plus par le fait de
l’héritage culturel que de l’héritage cultuel. Il n’est donc pas rare de voir
des femmes arabes de confession non musulmane le porter sans le justifier par
une appartenance à un univers de valeurs ou par des contraintes quelconques.
Beaucoup de
jeunes filles utilisent d’ailleurs le voile à des fins de séduction, juste pour
créer une harmonie de couleur sur un style vestimentaire très osé qui finit par
dessiner leur corps et constituer ainsi une rupture avec l’objectif même du
voile, celui de veiller à la sauvegarde de sa pudeur et de sa piété. La
tendance, c’est plutôt de « s’habiller tendance » et de fouler aux pieds les
normes islamiques.
Certes, dans
un monde où la femme musulmane est victime de tant de clichés et de stéréotypes
dégradants, beaucoup de femmes, de stylistes et de couturiers, essaient coûte
que coûte de lui proposer une ligne d’habillement intégrant le voile et
épousant les différentes fluctuations de la mode.
Le voile ne
doit jamais être utilisé comme un objet de décoration, de séduction ou
d’exhibitionnisme de la femme musulmane. Son souci premier est non de séduire
les hommes, mais de plaire à son SEIGNEUR, comme cela ressort d’ailleurs des
révélations antérieures. Le véritable art de séduction, c’est l’art du
perfectionnement de soi en vue de la quête de La satisfaction divine. « […] ne
vous exhibez pas à la manière des femmes d’avant l’Islam (Jāhiliyah) […] » (S33
V33).
LA PLACE DE CHOIX DU VOILE DANS LES RÉVÉLATIONS ANTÉRIEURES
Les récits
coraniques sur certaines catégories de femmes avant l’avènement du Messager
Mouhammad (saw) les présentent comme des femmes « couvertes ». Cette couverture
prenait en compte tout ce qui est considéré chez la femme comme un moyen
d’exhibition ou de séduction. Elles en étaient ainsi distinguées et respectées
au même titre.
L’histoire
nous montre que les femmes chrétiennes portaient le voile, même s’il n’apparaît
pas de manière explicite que cela restait tributaire d’une révélation expresse
le leur imposant. La preuve, c’est que dans les écrits de la Genèse (Gn 29,
26), il est fait mention de l’épisode de Jacob (as), qui, croyant épouser
Rachel, se mariait plutôt à Léa, parce que le visage de la femme n’était
découvert que dans la chambre nuptiale.
Est-ce donc
par simple conformisme ou par le fait que le voile était une prescription
expresse que l’apôtre Paul mettait l’accent sur l’obligation pour la femme de
le porter dans le cadre de l’observation de sa prière (1 Cor 11, 5) ? Des
vierges de l’Église primitive qui étaient voilées aux soeurs chrétiennes
d’aujourd’hui, le port du voile n’est certainement pas, pour elles, le fait
d’une simple contagion qui relève des interactions culturelles.
Il donne
toutefois de remarquer que ce voile n’est pas stigmatisé, catalogué, décrié au
même titre que le voile islamique, victime de tant de clichés infamants et
rétrogrades, et perçu d’ailleurs comme le signe d’une aliénation mentale et
culturelle de la femme, un signe ostentatoire, l’anse du mal, une arme au
service du terrorisme et du machisme esclavagiste des musulmans.
Une pure
fiction déplaisante dans la méconnaissance d’une pratique cimentée par la
révélation divine.
LE VOILE MUSULMAN, UNE PRESCRIPTION DIVINE
Il faut le
dire, le voile islamique n’est pas une fantaisie engendrée par les Hommes. Il
est de l’ordre des recommandations du divin. Et cela se perçoit mieux non
seulement par le texte, mais aussi par le contexte de la révélation et de l’application
des versets qui s’y réfèrent. Ce contexte ignoré par les lyrismes des plumes
souffreteuses de quelques orientalistes en quête d’orientation ou d’une poignée
de féministes qui confondent les revendications des Droits de la femme à sa
dévalorisation donne à lire des commentaires des plus surréalistes sur la
question du voile islamique.
La femme
n’est pas un objet de désir, et son corps ne saurait être exhibé comme étant la
palme d’or de son identité et de sa fierté féminine. Tous les grands
rapporteurs de hadits (dires, faits, gestes, enseignements inspirés de la
sagesse du Prophète saw), tous les savants émérites et les commentateurs
unanimement connus du Saint Coran n’ont aucun son discordant sur l’exactitude
de cette révélation.
Le seul
point de non-accordance est celui de la couverture totale ou non de la femme, y
compris son visage. On trouve ainsi pour chaque position, une catégorie de
savants la défendant et chaque musulmane s’oriente selon ses sensibilités et
ses convictions dans la tolérance et l’acceptation des autres, le jugement
étant du seul ressort du divin.
L’un des
plus grands commentateurs du Saint Coran, le savant Ismaël Ibn Kathîr met en évidence
plusieurs faits qui justifient l’obligation du port du voile. C’est à ce titre
qu’un jour, la fille d’Abu Bakr (raa), premier khalife de l’Islam Asmâ (raa),
entra en vêtements fins devant le Prophète saw. Il se détourna d’elle et lui
dit : « Ô Asma, quand la femme atteint l’âge des menstrues, rien d’elle ne peut
être vu, sauf ceux-là. » Il avait alors désigné le visage et la main. Les
hadits pareils sont légions.
Pour ce
savant émérite, le segment « […] et qu’elles rabattent leur voile sur leur poitrine
[…] » (S24 V31) prend en compte la couverture du coup et de la poitrine.
D’ailleurs, l’épouse du Prophète saw nous édifie sur le contexte de
l’application de cette injonction et le témoignage que, lorsque les femmes
musulmanes ont reçu cette révélation, celles qui étaient dehors ou dans des
espaces publics déchiraient une partie des pagnes qu’elles portaient pour se
couvrir la tête, afin de mettre leurs cheveux à l’abri des regards extérieurs.
L’injonction
du voile pèse ainsi comme obligation non seulement sur les épouses et les
filles du Messager (saw), mais aussi sur les musulmanes, toutes les époques
confondues. Une prescription indiquée pour elles comme « un moyen sûr d’être
reconnues et d’échapper à toute offense » (S33 V59). On le voit donc, la prescription
du voile n’est pas fortuite.
LE VOILE, UN MOYEN DE VALORISATION ET DE PROTECTION DE LA FEMME
Il n’y a
aucun nuage sur la fiabilité de la prescription du voile. Et le SEIGNEUR, dans
Son Infinie Bonté et Son Omniscience, Sait pertinemment à quel point ce voile
constitue un moyen de protection de la femme. « En vérité, Je sais ce que vous
ne savez pas » (S2 V 30).
Pris sous un
angle rationnel, le port du voile est un droit pour la femme musulmane qui le
revendique. Là où on permet à des femmes de se présenter dans l’espace public
avec les habits de leur choix, et que certaines choisissent d’exposer tout ou
partie de leur corps, on ne saurait tolérer une mesure disproportionnée qui
consiste à dicter à la femme musulmane ce qui lui convient.
Le droit à
la religion est un aspect fondamental de la liberté de conscience (Art. 10 de
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui consacre la
liberté d’opinion et la liberté religieuse). De toutes les époques et les
civilisations, les hommes ont parfois considéré injustement la femme comme un
puits de satisfaction de leurs fantasmes libidinaux. Dénuder et afficher la
femme sur des pancartes et des panneaux publicitaires ne fait d’elle qu’un
objet à la merci des civilisations marchandes et mercantilistes, une véritable
injure pour sa sublimité et sa richesse enfouie.
Les lectures
suivant lesquelles le voile représente la « soumission moutonnière » de la
femme à l’homme ignorent le fait que beaucoup de femmes ont divorcé d’avec leur
époux, parce que celui-ci s’opposait à leur volonté de porter le voile, comme
soumission et obéissance à leur SEIGNEUR. La femme ne porte pas le voile pour
son époux ou par contrainte, ni parce qu’elle est mariée ou parce qu’elle est
une extrémiste, mais elle le fait en toute liberté dès sa puberté, par amour
pour son SEIGNEUR.
« Point de
contrainte en religion » (S2 V256). En Islam, l’homme et la femme sont soumis à
la même enseigne au SEIGNEUR et il est d’autorité qu’il n’existe point
d’obéissance à la créature dans la désobéissance au Créateur. Certes, le port
du voile ne peut pas être mis sur le même piédestal que les piliers majeurs de
l’Islam, mais le faire est un signe d’amour pour son Créateur.
Même si
certaines femmes utilisent le voile comme un simple masque et que, dans
certains pays arabes, on trouve des prostituées en voile, cela n’entache point
la force de la révélation. Si le voile est un objet de soumission des femmes à
leur époux, que dire des jeunes filles pubères, non mariées et voilées ?
D’ailleurs,
le port du voile n’est qu’une obligation pour la femme dans l’espace public ou
lorsqu’il y a auprès d’elle, des yeux extérieurs. L’exigence tombe dès
l’instant où elle est avec son époux et pour lequel elle est tenue de
s’embellir, de se rendre belle et séduisante, ou lorsqu’elle est dans l’espace
familial avec des parents qui lui sont interdits dans le cadre du mariage (S24
V31).
Quand elle
atteint également l’âge de la vieillesse où tous les regards se détournent
d’elle, cela n’est plus une obligation pour elle, mais protéger ses atouts et
porter le voile est toujours meilleur (S24 V60).
Le voile
constitue d’ailleurs un tout. Plus qu’un morceau de tissu sur la tête, il
participe de la pudeur et de la piété de la femme. Cela ne veut pas dire que
celles qui ne le portent pas sont des femmes viles et sans foi. Et au nom de
cette pudeur, la femme ne voile pas que sa tête, elle voile aussi dans l’espace
public, la douceur de sa voix, la splendeur de la démarche, la beauté de son
corps pour ne pas être une « bombe ambulante » contre les hommes.
L’Islam
attaque les problèmes à la racine de l’arbre et non sur ses feuilles, en
régulant tout ce qui peut être objet de tentation à même de conduire à la
dépravation des moeurs. Hormis le voile, ses restrictions de pudeur s’imposent
aussi à l’homme.
Et cette
pudeur exige de la femme une certaine discrétion dans l’espace public, pour ne
pas être la proie des regards voraces des hommes. Le voile est porté sur des
habits qui ne doivent pas être moulants, transparents et collants, laissant
entrevoir ce qui n’est à voir que par celui qui partage légitimement son
intimité. Il est ainsi une protection pour elle et aussi une protection pour
les hommes. Et cette protection ne prend pas seulement que l’aspect physique
des choses en compte, mais tient compte aussi de leur dimension spirituelle et
mystique.
En effet, le port du voile (bien sûr, par amour pour son SEIGNEUR et non par contrainte ou complaisance) constitue un rayon de lumière divine sous forme de bouclier contre les assauts des esprits maléfiques.
Il est vrai
que l’histoire d’un si « petit morceau de tissu » n’a jamais atteint un
paroxysme d’hystérie collective si frénétique, mais il faut dépasser les débats
passionnés et comprendre que, derrière une supposée insignifiance, peuvent se
cacher des grandeurs aux ramifications profondes et sublimes.
Le voile de
la Femme musulmane constitue, en toute évidence, la pièce d’un puzzle homogène
où s’entremêlent à la fois sa foi, sa liberté, son droit, sa spécificité, sa
splendeur, ses valeurs et la richesse de son humanité.
Au fond, ces
femmes musulmanes n’attendent pas de l’œil extérieur une observation à partir
du télescope de sa vision des choses, ni de l’œil intérieur des compromis
compromettants, mais une lecture qui tienne compte de l’exigence de leur
univers de valeurs.
De toute
évidence, si l’on se préoccupait moins de ce « petit morceau de tissu » sur la
tête de ces femmes musulmanes, d’ailleurs suffisamment en conflit avec les
réverbérations zénithales du soleil, pour s’offrir d’autres adversaires, en
mettant plutôt l’accent sur la richesse de leur cœur et de leur humanité, il
est clair que le monde irait davantage mieux.
Jamais les
frustrations, les stigmatisations et les catégorisations n’ont été pour
l’humanité, une sève nourricière de stabilité. La paix suppose la tolérance,
l’acceptation et l’amour des autres tels qu’ils sont et tels qu’ils le
désirent, tant que les valeurs incarnées ne constituent pas une corruption des
bonnes mœurs. L’expression de ma valeur s’arrête là où commence l’univers des
valeurs des autres. Et le voile islamique transcende justement la frontière du
culturel, parce que participant d’un macrocosme cultuel harmonieux.
Et si l’acharnement sur le voile islamique n’était en réalité que la face visible d’un iceberg islamophobe voilé ou un désaveu du religieux dans un monde qui, de plus en plus, n’attend qu’à faire le deuil de rares semences des croyances religieuses pour asseoir sur le trône de la bêtise humaine, la reine des antivaleurs ?
El Hadj Diabaté Fousséni (journaliste-écrivain, contributeur)