Georges Momboye entre dans une pièce comme il entre en scène : sourire lumineux, énergie contagieuse, présence magnétique. Toutefois, derrière cette joie communicative se cache un parcours de vie forgé dans la rigueur, la persévérance, et surtout, une passion viscérale pour la danse, son refuge, sa voix, son moyen d’expression quand les mots lui faisaient défaut.
Originaire de l’ouest de la Côte d’Ivoire, Georges Momboye a grandi à Kouibly, un petit village où chaque matin débutait par une corvée aux champs. Pourtant, c’est un autre souvenir qui reste gravé dans sa mémoire d’enfant : un jour, vers l’âge de dix ans, on vient le tirer du sommeil pour qu’il défende l’honneur du village en dansant face à des visiteurs venus rivaliser. Il improvise sur un air de Makossa inspiré de Michael Jackson – et remporte les cœurs.
« Je suis né bégayeur. Pour m’exprimer, la danse m’a
sauvé », confie-t-il simplement. À travers le mouvement, Georges a trouvé ce
que les mots lui refusaient : une liberté, un langage, une manière d’être au
monde. Ce lien profond avec le corps et le rythme ne l’a plus jamais quitté,
même lorsqu’il pratiquait la mécanique à Abidjan ou plus tard, lors de ses
débuts à Paris.
Son parcours est une chorégraphie sinueuse, faite de soubresauts,
de sauts, de chutes, mais toujours animée par une force invisible : la foi en
son art. L’atterrissage à Paris fut brutal. Sans logement, sans ressources, il
survit grâce à l’aide d’un ami. Et c’est dans cette précarité qu’il décroche
une audition improbable parmi 500 candidats. Ce sera le début d’une tournée
mondiale, du Japon à la reconnaissance européenne.
Chorégraphe et metteur en scène, Momboye développe une
vision artistique où l’Afrique est un cœur battant, une matrice d’inspiration
inépuisable. Il revendique avec fierté une tradition déjà moderne, où les
gestes des ancêtres résonnent avec une beauté contemporaine. Sa danse célèbre
les racines, détourne le regard du public pour mieux le ramener à l’essentiel.
« Ce qui m’inspire, c’est l’originalité, la rareté.
L’Afrique reste avant-gardiste. Nos traditions sont déjà modernes. » Pour lui,
l’esthétique africaine est une richesse que le monde ne cesse de redécouvrir,
parfois sans en reconnaître l’origine. En réponse, il fonde le Centre Momboye à
Paris, un espace de transmission, de création, et surtout, un incubateur de
futurs artistes africains capables de porter haut cette identité.
Mais le succès n’a pas été immédiat. Être chorégraphe
africain en Europe, c’est se heurter à des murs invisibles : préjugés, doutes,
regards suspicieux. « On ne croyait pas aux Noirs dans ce métier. Ce que les
autres faisaient en un effort, je devais le faire trois fois. » Pourtant,
Georges persiste, impose le respect, et devient incontournable.
De la Maison Blanche à la CAN 2023, de l’Assemblée
nationale française aux scènes du monde entier, il avance, sûr de sa mission.
Une mission qui ne serait rien sans son ancrage : l’Afrique. « C’est elle qui
m’a tenu debout. » Et les épreuves lui ont enseigné la patience, la
persévérance, la foi.
Aujourd’hui, Georges Momboye transmet. Il donne aux
autres les moyens de trouver leur propre chemin, aussi sinueux soit-il.
Comme ce détour qu’il a appris à prendre chez un
peintre au Venezuela : « Les chemins les plus courts sont pleins d’embûches.
Les plus longs, eux, te font grandir. »
« C’est de voir les jeunes qui aiment la danse réussir
leur vie. Prendre ce métier à bras le corps, avec beaucoup de sérieux. Mon
rêve, c’est de voir les artistes programmés régulièrement au Palais de la
Culture, avec des prix de location des salles revus à la baisse. Je rêve d’une
maison de la danse, avec un grand théâtre, des studios, des salles de
formation. Mon rêve, c’est que la culture puisse soigner les douleurs,
construire, éveiller, redonner confiance. Mon rêve, c’est que la culture
devienne le moyen le plus simple, le plus fort, pour communiquer dans le monde
entier. »
Maurelle Kouakou