En Afrique, il n’est pas aisé pour une femme d’acquérir de la notoriété dans une discipline à laquelle on colle traditionnellement le label de la masculinité. L’art plastique fait partie de ces occurrences misogynes. Pourtant, Rouquaiya Yasmine Yérima occupe une place de choix dans le monde de la peinture togolaise.
Nous ne
sommes pas sans savoir que les démiurges sont le plus souvent portés par le
chant du cygne ! Signe de chienlit qui fait naître en eux, au cœur de la
mélancolie, la graine de la création ! L’art est un instrument qui leur sert à
fustiger les problèmes qui minent la société. Ils se définissent par cette
force qui les pousse à créer. Car créer, pour eux, c’est résister !
Si
aujourd’hui Yérima est une peintre brillante, cela n’a pas été toujours facile
pour elle. Celle qui a grandi au milieu de dessinateurs a tout naturellement
trouvé sa voie dans la manipulation du crayon. Mais, plus tard, lorsqu’elle décide
d’en faire un métier, elle se heurte aux préjugés, aux regards sexistes, à
l’extrême frilosité de la société face au désir d’affirmation de la gent
féminine. Elle ne baisse pas les bras pour autant. Elle continue de peindre,
bien qu’on n’accorde aucun intérêt à ses tableaux. Pour survivre, elle tresse,
s’adonne même au commerce, s’initie à la scénographie. Il faut se bouger pour
pouvoir joindre les deux bouts.
L’ADVERSITÉ
Les pluies
tombent. Les soleils se lèvent. L’alternance des saisons bariole le tableau du
temps des couleurs de l’épreuve. Jamais Yérima ne courbe l’échine. Elle se bat.
Corps et âme. Contre vents et marées. Puis…la persévérance finit par payer !
Les clairs-obscurs de la fresque de sa vie se peignent de colorations plus
vives. Yérima explose. Yérima expose.
Du 10 mars
au 30 avril 2022, l’artiste présente son travail à l’hôtel Honono de Lomé.
Titre de l’exposition : « L’adversité ». Un intitulé qui en dit long sur son
parcours et son état d’esprit.
On est
fasciné et conquis par le travail méticuleux de la jeune peintre. Elle
symbolise des têtes dont les visages sont enfouis sous la peinture, les cheveux
dressés, semblables à de petits serpents. Ses fresques font penser à la Méduse de
la mythologie grecque. Elles mettent en scène une sorte d’entremêlement de
neurones, un écheveau inextricable.
Comme si ces
crânes étaient au bord de la rupture. C’est une lutte interne qu’elle exprime,
le perpétuel combat que nous livrons contre nous-mêmes. Mais, ce qu’elle
souligne de deux traits, c’est que du gouffre le plus profond, il faut trouver
les ressources pour résister à l’adversité. Une véritable leçon de résilience.
Yérima peint
avec goût. Elle est une artiste. Au sens propre ! L’art est une charpente qui
la porte vers des sommets. On décrypte chez elle une face éruptive, une force
qui va, une hargne qui ne dit pas son nom.
LE
CHOIX DE LA PEINTURE
Rouquaiya
sait les raisons qui l’ont motivée à devenir peintre en dépit des obstacles.
Elle le dit sans faux-fuyant : « J’ai choisi d’être peintre par nécessité, pour
pouvoir m’exprimer. » Ce qui lui tient à cœur, c’est de partager son message
avec les femmes africaines, les encourager, les exhorter à ne jamais baisser
les bras.
De fil en
aiguille, en mêlant les couleurs, Yérima dépeint, en toile de fond, sa
féminité. « Je suis directe quand je parle et les hommes me prennent comme une
femme qui porte la culotte ». Pourtant, en dépit de la puissance de sa
peinture, des volcans qui semblent la porter, une forme de douceur se dégage de
ses tableaux. Un hymne à la tendresse et au calme. Elle démontre que la femme
africaine peut arriver à s’affirmer sereinement quand elle fait preuve de
résilience.
Son parcours
en est une parfaite illustration. L’adversité que peint Yerima n’est pas une
invitation aux guéguerres interminables contre les autres, mais un combat
contre soi-même. Ne jamais baisser les bras, ne jamais se laisser briser par le
tsunami du découragement. Toujours croire en soi, en sa passion ! Telles sont
les voies de la réussite !
Abdal’Art