Le chrétien a la profonde conviction que Dieu ne lui parle pas par brefs moments ni de façon exceptionnelle, mais sans cesse. Aussi pour le chrétien, reconnaître la voix de Dieu n’implique pas seulement d’opérer un discernement sur telle ou telle parole intérieure qu’il aurait entendue de façon isolée, mais de mettre l’ensemble de sa vie en situation d’écoute d’une parole qui lui est offerte en permanence. Pour cela, le chrétien doit entrer dans une attitude de conversion constante à la suite du Christ : « Mes brebis écoutent ma voix, je les connais et elles me suivent » (Jn 10, 27).
Où le chrétien découvre-t-il cette surabondance de paroles qui lui sont adressées sans cesse ? Il les reçoit et les découvre dans l’Écriture. Le chrétien considère en effet que chaque parole de la Bible lui est destinée de façon strictement personnelle. Ainsi, lorsque le Christ affirme : « suis-moi ! » à l’un de ses disciples, c’est à moi qu’il le dit, je suis ce disciple. Nous devons entendre la parole de Dieu comme sortant de sa propre bouche pour chacun d’entre nous. Telle est la première attitude qui est impliquée dans l’écoute et la reconnaissance de la voix de Dieu. La « voix » n’est pas la même chose que la « parole ». Jésus a parlé à des foules, et ses paroles sont parvenues à une multitude innombrable à travers les siècles ; tandis que la voix est individuelle, elle ne peut pas être coupée de celui qui la dit.
Pour entendre la voix d’une personne, il faut être en
sa présence. Écouter la voix du Christ, et pas seulement entendre sa parole, implique
donc d’accueillir la présence de Jésus qui me parle à moi seul comme il a parlé
à ses disciples.
Il n’y a pas un passage de l’Écriture qui n’aurait pas
été écrit pour moi. « Tout ce qui a été écrit dans le passé le fut pour notre
instruction » (Rm 15, 4). L’Écriture ne nous relate pas la vie des saints pour
que nous en prenions seulement connaissance ou que nous les admirions, mais
afin que nous osions croire que la grâce qui a été faite à ces saints est déjà
à l’œuvre en nous. Les saints de la Bible ne sont pas des modèles que nous devrions
reproduire à notre mesure, ils sont bien plutôt la révélation de l’action de
Dieu qui a commencé dans notre histoire, en eux comme en nous.
S’appuyer sur l’ÉCRITURE pour discerner la voix
de dieu
Pour le chrétien, l’Écriture est un lieu majeur de discernement
et de reconnaissance de la voix de Dieu.
En effet, après avoir reconnu que dans l’Écriture,
Dieu nous parle en personne, nous pouvons nous appuyer sur l’Écriture afin
d’authentifier si les autres voix que nous entendons sont celles de Dieu ou
non.
Si par exemple une voix intérieure ou extérieure nous
fait culpabiliser jusqu’au désespoir – « étant donné ce que tu as fait, Dieu ne
pourra plus agir dans ta vie » – nous pouvons être sûrs que cette voix ne vient
pas de Dieu.
De fait, tout au long de l’Écriture, même si Dieu
corrige son peuple et lui fait voir ses fautes, jamais il ne le pousse au
désespoir. Dieu lui fait comprendre au contraire que quelle que soit sa faute,
la grâce est toujours là pour lui, avec la même intensité qu’au point de
départ. « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais
pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3, 17) ; « Si notre cœur venait à
nous accuser, Dieu est plus grand que notre cœur et il connait tout » (1 Jn 3,
20).
La voix de Dieu, une voix de grâce
Telle est la première caractéristique de la voix de
Dieu telle qu’elle nous est révélée dans l’Écriture. Il s’agit d’une voix
prévenante qui nous recherche quels que soient nos fautes ou notre passé. Dieu
ne nous fait pas entendre sa voix parce que nous serions à la hauteur, mais
c’est sa voix qui nous élève à la même hauteur que lui. Par sa voix, le Christ
nous cherche jusque dans la mort et nous relève puissamment : « Les morts
entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront » (Jn
5, 25). La voix de Dieu est la voix de quelqu’un qui nous recherche plus que
nous ne le recherchons nous-mêmes. Dès le début de la Bible, juste après le
péché d’Adam, Dieu se met à sa recherche et il l’appelle : « Où es-tu ? » (Gn
3, 9).
Cette voix de Dieu qui cherche l’homme traverse toute l’Écriture.
Cependant, Adam n’arrive pas à l’entendre, il se cache derrière un arbre, car
il a peur. Il est persuadé que Dieu le regarde comme lui-même se regarde, à
travers sa honte et sa culpabilité.
Toute l’Écriture est là pour nous apprendre à écouter
la voix de Dieu comme une voix infiniment bienveillante qui nous appelle et
nous recherche partout jusque dans notre péché. C’est en accueillant cette voix
avec confiance que nous pouvons vaincre toutes les fausses culpabilités qui
nous écrasent. Il y a là un critère important pour reconnaître la voix de Dieu.
Lorsqu’une personne – ou nous-mêmes –, joue sur des ressorts de culpabilité pour
nous gouverner, il s’agit d’une voix seulement humaine, ou même démoniaque. Les
faux prophètes font retentir une voix qui n’est pas celle de la grâce de Dieu qui
nous libère, mais une voix qui nous culpabilise en réclamant de nous une
contrepartie écrasante – que ce soit à travers une pureté morale impossible à
atteindre, ou même une somme d’argent à donner. La voix de Dieu quant à elle,
nous appelle toujours de façon gratuite sans condition préalable.
La voix de Dieu, une voix de paix
Non seulement la voix de Dieu nous arrache à la culpabilité,
mais plus profondément encore elle nous met dans la paix. C’est ainsi que Jésus
appelait ses disciples lorsqu’il marchait sur les eaux de la mort :
« Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur » (Mt 14, 27).
C’est ainsi également que le Christ ressuscité appelle ses disciples : « La
paix soit avec vous » (Jn 20, 19). La voix de Dieu fait passer sans transition
d’un extrême à un autre, elle fait passer le pécheur de l’angoisse de la mort à
la paix et à la sécurité de se savoir aimé de façon inconditionnelle et sans
retour.
Ce critère est encore plus important que le premier
pour reconnaître la voix de Dieu. Pour savoir si l’appel que nous ressentons provient
de Dieu, il faut se demander s’il nous établit dans la paix. Dieu peut parfois
nous mettre à l’épreuve, mais il ne nous enlève jamais la paix qui est au plus
profond de notre âme. Par exemple, Dieu n’appelle pas quelqu’un à se consacrer
à lui dans la vie religieuse sans lui donner la paix qui vient avec. Si un
homme dit qu’il est appelé à être prêtre ou religieux, mais qu’au-dedans de
lui-même il se sent contraint et qu’il n’a pas la paix du cœur, cela signifie
que cet appel ne vient pas de Dieu. En réalité, cet homme s’est lui-même mis la
pression et s’est imposé quelque chose que Dieu ne voulait pas. Dieu n’appelle
pas par contrainte, il ne fait pas entrer une personne dans une voie dans
laquelle la personne ne se retrouverait pas, juste pour l’éprouver ou le
tester, mais Dieu veut son bonheur et sa paix. Cela est vrai des grands appels
de Dieu dans notre vie, mais cela vaut également pour tout ce qu’il nous
demande. Dieu nous appelle en nous pacifiant.
S’appuyer sur un père et un témoin de Dieu
Il faut reconnaître que la plupart du temps, nous sommes
mauvais juges à l’égard de nous-mêmes.
Nous confondons souvent la voix de Dieu avec notre imaginaire,
c’est pourquoi nous avons besoin de frères ainés et de témoins qui nous aident
à reconnaître la véritable voix de Dieu. Pour cela, il est bon de s’appuyer sur
quelqu’un qui nous connaît et qui est comme un père pour nous. Cette personne
sera mieux à même de détecter les interprétations erronées qui proviennent de notre
imaginaire, qui la plupart du temps se répètent et qui nous font jouer un
personnage dont nous devenons spectateurs.
Les véritables appels de Dieu sont plus simples et
plus profonds que le petit personnage que nous sommes en train de construire.
Quelqu’un d’extérieur à nous peut plus facilement nous aider à le démasquer.
Dieu nous aime tels que nous sommes, il nous préfère au personnage idéal que
nous risquons de nous imposer à nous-mêmes. L’appel de Dieu n’est pas
caractérisé par la difficulté ni par une épreuve insurmontable, mais par la simplicité
de la grâce et de la paix qu’il veut nous donner.
Frère Thibault