Hystérie frénétique, comme une diarrhée ensorcelante à évacuer, aveuglés par le tourbillon obnubilant de la hantise obsessionnelle du rêve au pays de l’homme blanc, contre vents et marrées et au péril de leur vie, ils s’offrent en holocauste aux bras assassins de l’inconnu.
Deux, trois
ou quatre millions de francs CFA économisés au prix de durs labeurs,
affablement offerts à des vendeurs d’illusion et chantres de rêves
hypothétiques pour regagner l’autre rive, où tous les greniers seraient
semble-t-il, féconds.
Et, il
n’existe pas de mots pour décrire la suite de l’horreur, dépenser des millions
pour être vendu comme une marchandise banale à deux cents mille francs, le
comble de la déchéance humaine.
Vous avez
entendu dire « immigration clandestine », comme un autre « Gorée » ressuscité,
une sorte de « porte de non-retour » … Du rêve de la conquête du mieux-être
pour en arriver à l’esclavage hideux et répugnant pratiqué dans des pays où
l’Islam semble-être la religion dominante. Paradoxe ou simple logique ? Comment
en sommes-nous arrivés là ? Comment se libérer des griffes de ces bourbiers et
de ces vastes cimetières à ciel ouvert ? La question reste ouverte.
LA RESPONSABILITÉ PARTAGÉE
Quelle
alternative offre-t-on à tous ces jeunes diplômés ayant accumulé des années
sans emploi, ces jeunes « désœuvrés » qui chaque jour, sont humiliés par les regards
et les propos accusateurs de leurs proches et sans cesse obligés de tendre la
main pour subvenir aux besoins élémentaires de la vie ? Dans une Afrique où l’alternance
démocratique apparaît toujours comme un horizon à l’horizon, où les jeunes ne
sont utilisés que comme du bétail électoral sans une véritable politique visant
à leur assurer un avenir radieux, qu’attendons-nous d’eux ? Qu’est-ce qu’il
faut espérer de certains pays où chaque jour, le dictat des armes et des
guerres fratricides mettent à mal tous les efforts consentis pour sortir des
cavernes ténébreuses des inflations économiques récurrentes ?
Ce suicide
programmé de tant de jeunes n’est que la réponse au manque de réponse de nos
pays et dirigeants à leur offrir de véritables alternatives pour leur
mieux-être social.
À cette
raison et pour ce qui concerne la Côte d’Ivoire, s’ajoute la pression des
géniteurs. Qu’attendons-nous d’un enfant qui chaque jour, entend de sa mère, des
propos aussi blessants qu’humiliants du genre : « Dangadeh (enfant maudit en
dioula), tu es là à ne rien f..tre alors que tous tes amis sont en Europe et
font la fierté de leurs parents ? » Quel enfant n’aimerait pas être la source
du bonheur de ses parents ? Des parents pour qui l’enfant n’est que le produit
d’un investissement matériel à capitaliser. Ici, seule l’espèce sonnante et trébuchante
compte. En elle seule se trouve la richesse de l’individu, symptôme d’un monde
aux valeurs en décrépitude.
Que dire de
la fascination de l’Occident ? Que d’accidents sur la route incertaine de cet
Occident mystifié ? C’est le monde de l’argent rapide, l’argent de valeur,
l’argent non dévalué. C’est aussi le monde de la valorisation. Revenir
d’Europe, d’Amérique ou d’Asie et être arrosé de tant d’honneur, de respect,
être adulé par la gente féminine, être courtisé à la fois par tous, s’offrir le
luxe de prendre en otage des boîtes de nuit, des maquis, des bars climatisés,
cela n’a pas de prix, même au prix de la vie. Vous leur montrerez toutes les images
répugnantes de ces cimetières à ciel ouvert, ils vous diront que ceux qui y
sont restés n’étaient pas des enfants bénis.
Comment
raisonner une telle personne pour qui votre tentative de dissuasion n’est que
la preuve de votre jalousie camouflée ? Faut-il ici, à tort ou à raison accuser
éternellement le gouvernement qui œuvre aussi pour offrir des alternatives à
ces personnes qui parviennent à économiser des millions pour ensuite les
sacrifier entre les mains de vendeurs d’illusion ?
Faut-il
encore accuser l’État, là où des fonctionnaires d’Etat utilisent les fonds de
leur rappel pour se lancer dans la folie de l’aventure irrégulière ? Comme me
disait cet exilé : « Je jure par ALLAH, si j’avais utilisé le tiers du
sacrifice consenti ici en Europe chez moi au pays, je serais devenu millionnaire
».
Tous
responsables face à ces si beaux rêves qui se transforment bien des fois en
pires cauchemars.
DE L’HORREUR À LA VÉRITÉ
Par le
pouvoir des médias, les images dignes de l’époque de l’âge d’or de l’animalité
tournées en Lybie ont choqué le monde entier. Des politiques aux religieux en
passant par les organisations de la société civile, toutes les réactions se
sont voulues vives face à cette exécrable ignominie humaine.
Et pourtant,
nous sommes ici en terre islamique. Mais attention à ne pas tomber si vite au
rabais dans des amalgames improductifs. Ce cafouillis en Lybie n’est que la
conséquence directe de l’assassinat de Mouammar KADHAFI. Ignorer cet état de
fait, c’est occulter la racine du mal. Ces ventes d’esclaves ne sont que le
fait de groupes de milices dans une Libye où tout est à reconstruire et où le
pouvoir est encore dans la rue.
L’Islam ne
saurait donc être l’ambassadrice d’une telle animalité. C’est un fait avéré,
l’esclavage était une pratique courante au cœur de la péninsule arabique.
L’esclave n’avait aucun droit, tout au plus, il n’était qu’une banale propriété
à la merci de son maître.
L’avènement
du Messager d’ALLAH (saw) viendra comme un ouragan bouleverser toutes ces
pratiques déshumanisantes.
D’abord,
l’Islam a consacré et valorisé les droits des esclaves et les a identifiés à
des êtres pleinement dignes, à part entière et non entièrement à part. Un point
d’honneur a été mis sur la sauvegarde de leur vie, leurs biens, leur honneur et
leur dignité. Ainsi, le maître avait l’obligation de soigner son esclave, de
l’héberger, de le nourrir au même titre que lui : (« Nourrissez-les de ce que
vous mangez, et habillez-les de ce que vous portez ») a dit le Messager d’ALLAH,
(saw) dans un de ses enseignements rapporté par Mouslim raa.
Et dans un second
temps, le Coran et les enseignements prophétiques font mention à maints égards
des mérites divins que le SEIGNEUR réserve à ceux qui utilisent leurs biens
pour affranchir les esclaves, et promet une punition à ceux qui leur réservent
un traitement dégradant. Plusieurs preuves textuelles en témoignent : « Mais
sais-tu bien ce qu’est la voie ascendante ? C’est la pente qu’on gravit en libérant
un être humain…
Ceux-là sont
les gens de la droite, alors que ceux qui ne croient pas en nos versets sont
les gens de la gauche. Le feu se refermera sur eux ». Sourate 90, Verset 12 à
20.
Le SEIGNEUR
a même fait de l’esclave, un bénéficiaire de l’aumône purificatrice légale (la
zakkat), dans le sens de sa libération, voir Sourate 09, V 60.
L’importance
de ce troisième pilier de l’Islam dont une partie était affectée à l’affranchissement
des esclaves met en exergue tout l’intérêt porté à la liberté de l’homme.
Par
ailleurs, le Messager d’ALLAH (saw) a averti : « Au jour de la Résurrection, je
serai l’adversaire de trois personnes. Et quiconque est mon adversaire sera vaincu.
Parmi les trois personnes, il y a un homme qui a vendu une personne libre et utilisé
son prix » Hadith mis en évidence par Boukhary.
La seule
forme d’esclavage qui a pu exister avec le Messager d’ALLAH (saw) était celle
liée à la captivité des ennemis qui voulaient étouffer la flamme de l’Islam sur
les champs de bataille. Soit, ils étaient libérés sans rançons, ou ceux qui
avaient un niveau d’instruction monnayaient leur libération en apprenant à lire
à des analphabètes. Ailleurs, ils étaient tous zigouillés. Et progressivement,
tous les compagnons ont entrepris de libérer les esclaves en leur possession,
du fait de l’exemplarité comportementale du Prophète Mouhammad (saw).
Il n’est pas
possible que là où l’Islam est apparu pour restaurer la dignité de l’homme,
pour le libérer du joug des croyances païennes et des pratiques archaïques,
qu’elle soit la complice d’une pratique aussi déshumanisante et dégradante.
Tous les
hommes naissent libres et égaux, tel que proclamé solennellement par le
Messager d’ALLAH (saw) : « Ô les hommes ! Celui que vous adorez est Un, et
votre père est Un. Pas de supériorité à un arabe sur un non-arable, ni un
non-arabe sur un arabe, ni un Blanc sur un Noir, ni un Noir sur un Blanc. La
seule supériorité qui compte auprès de Dieu est celle de la piété. » Hadith
rapporté par Ahmad ra.
Ce qui
arrive aujourd’hui en Lybie, réflexion approfondie, n’est que le couronnement
de l’intrusion des puissances occidentales, si ce n’est le fruit de l’échec de
leur aventure militaire. Cela montre jusqu’où les responsabilités sont
partagées. De ces pays étrangers pour leur immixtion, aux autorités libyennes,
en passant par les passeurs de ces immigrants ou marchands de la mort, aux
parents des immigrants et aux immigrants eux-mêmes, c’est à chaque partie de
s’assumer face à sa responsabilité.
Jusqu’où
iront ces jeunes et jusqu’à quand parviendront-ils à déconstruire en eux le
mythe de cet Occident paradisiaque, qui abrite aussi des sans-abris, des
sans-emplois, des chômeurs, des taudis, des baraques, des ghettos de la misère
? Quand comprendront-ils que l’Afrique regorge de tant de trésors, et que notre
responsabilité est de nous battre pour faire de ces ressources, ignorées ou
banalisées, la source d’un rayonnement partagé ?
El Hadj Diabaté
Fousséni (journaliste-écrivain, contributeur)