Nous sommes à la mosquée de la Riviera 2, dans la belle citée de Cocody (Abidjan). L’imam vient d’officier la prière. Les murmures des supplications se taisent face à la rage des pleurs déchirants d’un fidèle. Une quête est vite faite et sur instruction de l’imam.
Des visages qui laissent transparaître
des airs poivrés d’une vie de misère où il n’y a de panacée que mendier. Des
enfants inscrits dans certaines écoles coraniques appelées « talibés », aux
hommes d’âge mûr en passant par des femmes, porteuses ou non d’enfants, ils en
ont presque fait la clé de leur gagne-pain, pour supporter les rudesses du
train-train quotidien de la vie.
Vous les verrez à maints abords des
rues, des carrefours, des encablures ou même à l’intérieur des mosquées, une
parole en bouche : « Fissabilillah (donnez au nom d’Allah) ». Tout laisse ainsi
présupposer que la mendicité est légitimement liée au cordon ombilical des
enseignements islamiques. Où est donc la vérité ?
L’ISLAM PRIS AU PIÈGE DE SA GÉNÉROSITÉ
L’islam est une religion qui appelle à
la générosité et à la solidarité agissante. « Et pour tout ce que vous dépensez
de vos biens, vous en serez pleinement récompensés et nullement lésés. » (S 2 V
272). Mieux, l’islam fait de l’aide sociale à apporter aux autres, une
condition sine qua none d’accès à la demeure de l’agrément divin : « Vous
n’atteindrez la vraie piété, que si vous faites largesse de ce que vous
chérissez. » (S 3 V 92).
Le don de soi pour le Seigneur passe
inexorablement par le don de soi pour la créature. Et c’est ce don de soi par
le don à l’autre du peu dont le serviteur dispose qui contribue à assainir son âme,
à la détacher et à la délivrer de la prison angoissante de l’éphémère et des
passions de cette existence brumeuse.
Ce n’est pas de manière fortuite que
la zakât (aumône purificatrice légale) a été instituée comme le troisième
pilier majeur de l’islam. « Prélève une aumône sur leurs biens pour les
purifier et les bénir » (S 9 V 103). « Bienheureux, en vérité, sont les
croyants qui prient avec humilité, qui dédaignent toute futilité, qui
s’acquittent de la zakât… » (S 23 V 1-4).
C’est cette générosité dans le fond
qui justifie que le musulman soit l’appât de tant de mendiants, sans que le
phénomène ne tire sa sève vivifiante des fondamentaux de l’islam.
L’INTERDICTION DE LA MENDICITÉ
A priori, la mendicité est
formellement interdite en islam. Il existe des preuves textuelles
indénombrables et éloquentes en la matière. On pourrait citer ces avis du
Messager d’Allah, Mouhammad (saw) : « Jamais une personne ne peut manger une
chose meilleure que ce qu’elle a acquis grâce au labeur de ses mains […] Le
fait que l’un de vous prenne une corde puis va à la montagne pour apporter un
fagot de bois sur son dos et le vendre afin qu’Allah lui épargne l’humiliation
de la mendicité est meilleur pour lui que tendre sa main aux gens, qu’ils lui
donnent ou refusent de lui donner […] Celui qui tient jalousement à sa dignité,
Allah la lui préserve et celui qui se passe de l’aide des autres, Allah exalté soit-il
le met au-dessus du besoin… »
On note également des propos plus
menaçants par endroits du Messager d’Allah : « Celui qui tend la main sans être
dans le besoin est comme celui qui empoigne des braises […] Nul n’aura de cesse
de tendre la main jusqu’à ce qu’il comparaisse devant Allah le jour de la
Résurrection sans la moindre chair au visage… »
C’est fort de tous ces enseignements
que ses compagnons immédiats, premiers khalifes et gouverneurs de l’islam, ont formellement
interdit la mendicité, en mettant l’accent sur la collecte et la saine
redistribution de la zakât pour ne pas donner de prétexte à certaines personnes
pour mendier. Cette même interdiction est encore actuelle aujourd’hui en Arabie
Saoudite et dans la quasi-totalité des pays musulmans.
Tous ces supposés démunis ne sont dans
le fond que des mendiants professionnels qui abusent de la grande largesse des
musulmans. Ces derniers n’attendent toujours que de « donner par amour pour le
Créateur » afin de s’attirer la satisfaction divine.
D’ailleurs, lorsque l’islam parle de
démunis, il s’agit d’individus ne disposant pas de moyens minimaux pour subvenir
à leurs besoins et qui refusent de mendier. Les pauvres à aider ne sont donc
pas ceux qui ont élu domicile aux abords des mosquées ou dans les rues. Il
existe toutefois quelques exceptions qu’il convient de mettre en lumière ici.
L’ATTÉNUATION DE L’INTERDICTION
Dans un hadith mis en évidence par
l’un des plus grands rapporteurs des enseignements prophétiques, en l’occurrence
Mouslim ra, il est fait mention de trois (3) circonstances pouvant justifier la
mendicité.
En premier lieu, il s’agit d’une
personne qui est en charge de payer une rançon pour mettre fin à une querelle
et qui n’a autre moyen que de demander de l’aide. Mais elle ne prend que la
somme exacte exigée, la recherche de la paix en islam étant une œuvre de grande
portée spirituelle. Cependant, tout surplus, le cas échéant, devient une somme
illicite.
En second lieu, il s’agit d’une
personne qui a été frappée d’une calamité et ayant perdu tous ses biens sans
avoir une autre source d’aide financière. Mais elle ne demande que le peu qui
lui permettra de faire face aux besoins immédiats et imminents.
En dernier lieu, une personne vivant
dans la disette totale et qui n’a pas le minimum pour vivre. Il lui faudra
trois témoins intègres avant d’avoir l’autorisation de solliciter une aide
financière ; s’il n’en existait pas, aucune autre source possible. Et elle ne
devra demander que le strict nécessaire.
Dans le fond, il ne s’agit donc pas de
mendicité en tant que telle, mais d’une demande d’aide formelle et légitime
pour faire face à une situation passagère.
Et nulle part dans les textes, vous ne
verrez que des enfants étudiant le Saint Coran doivent mendier pour soutenir financièrement
leurs parents. Un phénomène beaucoup plus culturel et diamétralement opposé aux
principes de l’islam.
DES DISPOSITIONS LÉGALES
CONTRE LA MENDICITÉ
C’est d’ailleurs pour cela que le Sénégal
a adopté le 10 mai 2005, la loi n° 2005 06 relative à la lutte contre la traite
des personnes et pratiques assimilées y compris la mendicité. Cette dernière
est punie comme une forme de maltraitance, d’une peine d’emprisonnement de 2 à
5 ans et d’une amende de 500 000 à 2 millions de francs CFA.
En Côte d’Ivoire, le phénomène des
enfants talibés et de la mendicité est d’une proportion inquiétante. L’on
gagnerait à asseoir une bonne stratégie dans le sens de la lutte contre ces
fléaux. Fort heureusement, en la matière, le gouvernement n’a pas observé la
politique de la chaise vide. Le 24 juillet 2013, une décision posait les jalons
de l’interdiction de toute activité de mendicité aux carrefours des grandes
rues du district autonome d’Abidjan et qui devait prendre effet le 5 août 2013.
Cette mesure gouvernementale peine
toutefois à se frayer un chemin. On note tout de même l’engagement de l’État à prendre
à bras-le-corps le phénomène des enfants talibés par le biais du Programme de
protection des enfants et adolescents vulnérables. Ce service se trouve sous la
tutelle du ministère de la Femme, de la Protection de l’enfant et de la
Solidarité.
À toutes fins utiles, la mendicité est
qualifiée par le Code pénal ivoirien de délit et punie d’une peine privative de
liberté.
Ci-après ce que stipule l’article 190
dudit Code : « Toute personne qui, capable d’exercer un travail rémunéré, se
livre habituellement à la mendicité, est punie d’un emprisonnement de trois à six
mois et peut être frappée pendant cinq ans, d’interdiction de séjour, ou
d’interdiction du territoire de la République, ou d’interdiction de paraître en
certains lieux. »
DES PISTES DE SOLUTIONS CONTRE LA MENDICITÉ (ndc)
La question de la gestion de la
mendicité transcende les clôtures des mosquées d’autant plus que la
quasi-totalité de ces personnes ne pratique qu’un islam de façade ou pas du
tout. Juste de la parodie et de la simple arnaque. Vous verrez beaucoup d’entre
elles rester de marbre pendant les heures de prière, lorsque les plus audacieux
n’investissent pas l’intérieur des mosquées dégageant parfois l’odeur de l’alcool.
Il n’est pas rare de recueillir des
témoignages de personnes qui, avec les fruits de la mendicité, sont même
parvenues à s’offrir des demeures. Il s’agit là manifestement d’un ensemble de
gains et de biens illicites. Et il est impossible au mendiant d’être
socialement ou spirituellement stable, car l’argent issu de la mendicité comme
métier n’attire que la malédiction divine. « Et c’est Lui qui agrée de Ses
serviteurs le repentir, pardonne les méfaits… » (S 42 V 25).
Offrir le terrain fertile à la
mendicité reviendrait à promouvoir la médiocrité et à préparer le nid d’une
paupérisation factice ou notoire au sein de la communauté musulmane. L’islam
qui appelle à l’excellence dans la sphère de la vie sociétale ne saurait être
le chantre d’une pratique aussi déshumanisante et déplaisante.
Il faut s’offrir en tout état de cause
les moyens de mettre fin au laxisme de certains négriers des temps modernes,
colporteurs de clichés culturels qu’ils veulent imputer à l’islam pour mieux assouvir
leurs velléités esclavagistes en utilisant de pauvres enfants innocents à des
fins mercantilistes et mendicitaires.
Au demeurant, l’islam offre un
chapelet de solutions pour juguler dans la société, tous les germes possibles
d’une paupérisation nucléaire ou généralisée en faisant par exemple de la zakât
(aumône purificatrice légale) un pilier majeur dans la quête de l’agrément
divin. Une saine collecte -et répartition-de cette aumône légale réduirait le
taux de la paupérisation au sein de la communauté musulmane. Bien sûr, l’État
doit aussi jouer sa partition, en apportant des réponses concrètes pour
résorber la grande amorce de la pauvreté.
C’est donc aux communautés musulmanes
et aux autorités municipales et administratives d’agir en synergie pour éviter que
les lieux de culte, les rues et les espaces publics ne deviennent des foires à
la mendicité. Et cela, certaines communautés musulmanes l’ont réussi. Questions
de principe, de prestige, d’organisation, de valeur et de dignité.
El Hadj Diabaté
Fousséni (journaliste-écrivain, contributeur)